CEDHF 98

 

Chronique d’application jurisprudentielle de la CEDH par la Cour de cassation et le Conseil d’État en 1998

I. Les droits intangibles. 2

1) - l’interdiction de tout traitement cruel, inhumain ou dégradant et l’interdiction de la torture. 2

2) le principe de légalité des crimes et délits de l’art. 7 CEDH et le principe non bis in idem.. 4

II. Les droits conditionnels. 6

1) le droit à la sûreté  art. 5 CEDH.. 7

2) le droit au procès équitable rendu par un tribunal impartial 9

a) la nature des droits et obligations de caractère civil et la contestation des sanctions de nature pénale  9

b) la contestation des sanctions de nature pénale. 11

c) le respect de l’impartialité et de l’indépendance du tribunal dans sa composition et son fonctionnement 17

b) Art. 6-2 CEDH.. 29

c) Art. 6-3 CEDH.. 29

3) le droit au respect de la vie privée et de la vie familiale de l’article 8 CEDH.. 30

4) la liberté d’opinion et de convictions de l’article 9 CEDH.. 34

5) Liberté de la presse et liberté de la publicité commerciale. 35

6) La liberté syndicale et l’article 11 CEDH.. 38

7) - le droit de propriété et l’article 1 du Protocole additionnel  n°1  CEDH.. 41

8) l’égalité de droits entre époux de l’article 5 en vertu du Protocole additionnel n°7 du 22 novembre 1984  42

 

La jurisprudence de l’année 1998 relative à l’application de la CEDH en France montre d’une manière significative l’influence de la CEDH sur l’ordre juridique interne notamment quant au droit  à la sûreté (cf.. art. 5) et au droit d’accès à un tribunal (cf. art. 6) et ceci malgré une constante dans la  difficile application du principe non bis in idem. La jurisprudence française intègre désormais les critères de la Cour EDH en matière de respect à la vie familiale protégé par l’article 8 mais aussi en matière de liberté de la presse (cf. art. 10). Elle consacre aussi le droit de création d’un syndicat professionnel en référence aux principes de l’article 11 CEDH et l’application de l’égalité de droits entre les époux en vertu de l’article 5 du Protocole additionnel n°7 à la CEDH de 1984.

 

I. Les droits intangibles

 

   Il s’agit des dispositions garantissant le droit à la vie (art. 2), l’interdiction de tout traitement inhumain ou dégradant et de la torture (art. 3), et de l’interdiction de tout travail forcé (art. 4)  ainsi que du principe de légalité des crimes et des délits (art. 7) complété par le principe non bis in idem. La jurisprudence de l’année 1998 ne mentionne aucun arrêt reposant sur l’article 2. Les arrêts les plus importants concernant les articles 3, 5, 7 ainsi que le principe non bis in idem.

 

1) - l’interdiction de tout traitement cruel, inhumain ou dégradant et l’interdiction de la torture

 

La jurisprudence relative à l’article 3 CEDH en 1998 confirme la jurisprudence établie en 1997 avec l’arrêt Kechemir rendu par le CE le 1er décembre 1997. Elle retient comme faits susceptibles de s’opposer à une mesure de reconduite les traitements infligés par les forces placées sous l’autorité de l’État mais aussi par des groupements, notamment islamistes échappant à toute autorité étatique [1]. 

La chambre criminelle de la Cour de cassation, quant à elle, a été amenée à statuer sur  des mesures éducatives assimilables à des coups et violences volontaires  sur des personnes vulnérables. La Cour de Cassation eut ainsi le courage, dans son arrêt du 2 décembre 1998, de se baser sur l’article 3 pour qualifier des maltraitances régulières infligées à des personnes dépendantes [2]. La Cour a solennellement rappelé le respect élémentaire dû à de jeunes adultes autistes maltraités par le personnel de l’institution les accueillant et  « que ne peuvent constituer des mesures éducatives des traitements dégradants imposés à des être humains ». La chambre criminelle de la Cour a ainsi cassé sans renvoi, pour violation des articles 3 CEDH, 222-13 et 222-14 C. pénal et 593 C.P.P.,  l’arrêt d’une chambre d’accusation confirmant l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction à propos d’une information ouverte contre des personnes non dénommées du chef de violences habituelles sur des personnes particulièrement vulnérables.  Le considérant de principe est éloquent : « alors que les juridictions d’instruction ayant le devoir d’informer sur une plainte avec constitution de partie civile, le refus d’informer ne peut intervenir que si les faits sont manifestement insusceptibles de recevoir une qualification pénale ; qu’il résulte des dispositions combinées des articles 3 CEDH, 222-13 et 222-14 du nouveau code pénal que le fait de soumettre habituellement des personnes à des traitements tels que « privation de repas, enfermement dans un placard, administration de douches froides et obligation de ramassages d’excréments » constitue en soit des actes de barbarie ; que lorsqu’ils sont perpétrés sur des personnes particulièrement vulnérables, ils sont punis de 20 ans de réclusion criminelle et qu’en ne recherchant pas si les faits dénoncés avérés perpétrés sur de jeunes adultes autistes ne constituaient pas des crimes définis par les textes précités, la chambre d’accusation a méconnu le principe susvisé » ;

Attendu que nul ne peut être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ;

Attendu que pour estimer justifiées les sanctions infligées, la chambre d’accusation énonce que les mesures en question peuvent s’inscrire dans un cadre éducatif en raison du contexte particulier tenant à la pathologie lourde des personnes auxquelles elles ont été appliquées et qu’il n’apparaît pas de disproportion entre ces sanctions et la gravité des crises et comportement auxquels elles répondaient ; mais attendu que ne peuvent constituer des mesures éducatives des traitements dégradants imposées à des êtres humains ; casse dans le seul intérêt de la loi.

Cet arrêt est à rapprocher de celui rendu par la chambre criminelle le30 avril 1996 [3]. L’arrêt est significatif de la volonté de la Cour de protéger ces jeunes adultes autistes de tous traitements contraires à l’article 3 CEDH au lieu de couvrir l’institution, en fermant les yeux comme le firent les juges de première instance. Il est loisible de s’interroger sur les motivations de ces derniers qui ont oublié que, dans la tradition juridique française, le juge judiciaire est le garant du respect des libertés individuelles. L’article 3 CEDH protège ici ces incapables majeurs en tant que sujets du droits protégés par la CEH, nul ne devant être l’objet de tout traitement inhumain, dégradant et de tout acte de torture. La doctrine et la jurisprudence sont divisées quant à la reconnaissance de droits dérivés [4]. Les articles 2, 3, 4 CEDH, à l’exception de l’art. 4-3, s’appliquent à tous.

 

2) le principe de légalité des crimes et délits de l’art. 7 CEDH et le principe non bis in idem

 

   La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette, le 13 janvier 1998, un pourvoi fondé sur l’imprévisibilité de la loi en matière de délit d’entrave au fonctionnement régulier du comité d’entreprise visé par le code du travail en considérant que  « contrairement à ce qui est allégué, l’incrimination prévue par l’article L 432-1 C. du travail n’est ni obscure, ni imprécise. L’obligation d’informer et de consulter le comité d’entreprise sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise s’entend, comme le prévoit l’art. L 432-1 C. travail, des mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle, dès lors que lesdites mesures sont importantes et ne revêtent pas un caractère ponctuel ou individuel. Il en résulte que l’art. 432-1 C. travail  n’est pas incompatible avec les art. 6-1 et 7 CEDH »  [5]. Cet arrêt de la chambre criminelle intègre en droit du travail le critère de prévisibilité de la loi pénale et des incriminations exigé par la jurisprudence de la Cour EDH. Cette application du principe de prévisibilité de l’incrimination et de ses conséquences respecte les exigences de l’article 7 CEDH.

 

De surcroît, le contentieux électoral est, comme en 1997, l’une des questions que les juridictions suprêmes françaises refusent de considérer comme susceptibles d’être soumises au respect des articles 6 et 7 CEDH. La Cour EDH a, dans sa décision du 21 octobre 1997 affaire Pierre-Bloch c./ France rejeté toute application de l’article 6-1 CEDH aux décisions du Conseil constitutionnel relative à l’inéligibilité d’un parlementaire pour dépassement du plafond de dépenses autorisées  [6]. Il en est de même du contentieux des élections devant le CE ainsi que des inéligibilités prononcées par le préfet dans le cas d’élus déclarés comptables de fait par une Chambre régionale des comptes [7].

Le contentieux électoral s’est cristallisé sur l’obligation pour un candidat, dont l’élection est invalidée par le Conseil constitutionnel constatant un dépassement du plafond des dépenses électorales autorisées fixées à cinq cents mille Francs pour les élections législatives en vertu de l’article L. 52-11 du code électoral, de verser au Trésor public une somme équivalente à ce dépassement. La fixation définitive de cette somme est déterminée par une décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques fixant la somme devant être reversée après qu’un dépassement  a été constaté par une décision définitive du juge de l’élection. Le Conseil constitutionnel avait pris une telle décision le 31 juillet 1991. Le CE a ainsi rejeté le  11 février 1998, dans l’arrêt  Galy-Dejean , le recours en annulation contre la décision de ladite Commission fixant à 201.000 Francs ce montant.  Le C.E. rejette aussi toute violation de l’art. 7 CEDH en considérant  que la décision prise à l’encontre du requérant n’a pas constitué une condamnation au sens de ces dispositions.  Le C.E. rejette d’une manière constante l’applicabilité de l’art. 6 CEDH au contentieux électoral et rejette l’application de l’article 7 CEDH à l’espèce puisque cette décision de versement  de l’excédent des dépenses autorisées ne constitue pas une condamnation au sens de l’art. 7 CEDH [8]. Il s’agit d’une stricte application du code électoral, la somme à reverser n’a pas le caractère d’une amende relevant de la matière pénale entraînant une éventuelle application de l’art. 6-1 CEDH. Le rejet de l’applicabilité de l’article 7 est des plus justifiés, la décision contestée fixant la somme à verser au Trésor public n’ayant pas un caractère punitif. Dès lors, cette décision est une mesure administrative et l’article 7 CEDH ne s’applique pas en l’espèce.

   En outre, la jurisprudence concernant l’application du principe  Non bis in idem est constante. La 1re chambre civile de la Cour de cassation a maintenu, dans l’arrêt « T. c. Procureur de la République près du T.G.I. de Bordeaux et autres » du 3 février 1998, sa jurisprudence antérieure de cumul légal des sanctions disciplinaires et des sanctions pénales, à l’occasion d’un pourvoi en cassation d’un notaire destitué et condamné à deux ans d’emprisonnement. La 1re chambre estimait, selon sa jurisprudence antérieure, que ces sanctions sont de nature différente. Ainsi, le cumul de la peine prononcée par le juge pénal et les sanctions disciplinaires n’est pas concerné par les dispositions de l’article 4 du protocole additionnel n°7 et de l’art. 6 CEDH.

   Cet arrêt est aussi conforme aux réserves faites par la France lors de la ratification de l’article 4 du protocole additionnel n°7, l’interdiction du cumul se limitant aux sanctions prononcées devant le juge pénal [9].

 

    La chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 4 juin 1998, maintient sa jurisprudence antérieure et, en application des réserves faites lors de la ratification l’article 4 du P.A. n°7 de 1984, limite l’application de la règle non bis in idem aux infractions relevant en droit français de la compétence du juge pénal. En conséquence, la cour rejette toute violation du principe non bis in idem dans le cas du prononcé de sanctions fiscales et de peines prononcées par le juge pénal . Plus précisément, la Cour estime que les sanctions fiscales exclusivement pécuniaires, même si ces dernières ont un caractère pénal au sens de l’article 6-1 CEDH, sont différentes par leur nature et leur objet, des sanctions pénales qui sont attachées à la répression des infractions, c’est-à-dire des agissements relevant en droit interne de la compétence exclusive des tribunaux répressifs [10]. Mais la jurisprudence récente de la Cour EDH relative au principe non bis in idem est désormais moins protectrice. La Cour EDH retient dans l’arrêt Oliveira c/ Suisse du 30 juillet 1997, (§ 27) comme critère de l’identité d’infraction l’identité de qualification juridique, en décidant que « l’art. 4 du P.A. n°7 ne s’oppose pas à ce que des juridictions distinctes connaissent des infractions distinctions distinctes, fussent-elles les éléments d’un même fait pénal » [11]. Selon J-F Flauss, la CEDH réduit sensiblement  la portée du principe non bis in idem dans le contentieux des sanctions administratives réputées pénales au sens de l’art.  6-1 CEDH.

 

II. Les droits conditionnels

 

    Ces droits concernent le droit à la sûreté garanti par l’art. 5 CEDH, le droit au procès équitable garanti par l’article 6 CEDH, le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8), la liberté de conviction et de croyance (article  9) la liberté d’expression et de la presse (art. 10) et la liberté d’association ( art. 11).

 

1) le droit à la sûreté  art. 5 CEDH

 

Les articles 147, 148 et 148-1 du code de procédure pénale traitent des conditions de la mise en liberté provisoire (assortie ou non d’un contrôle judiciaire) demandée, pendant la procédure et dans l’attente du jugement,  par une personne mise en examen via son avocat, au juge d’instruction. L’article 148-1-2 C.P.P. s’applique aux demandes de mise en liberté provisoire dans le cas d’un pourvoi en cassation après une décision rendue par une cour d’assises.

La chambre criminelle de la cour de cassation s’est prononcée, dans son arrêt du 18 nov. 1998,  sur les relations existant entre l’article 5-3 CEDH et l’article 148-1-2 C.P.P. [12]. L’arrêt rendu le 18 novembre 1998 « Procureur général près de la cour d’appel de Poitiers » estime « qu’après déclaration du bien-fondé de l’accusation dirigée contre lui, un accusé ne peut, dans l’attente  de la décision de la Cour de cassation, saisie de son pourvoi contre l’arrêt de la cour d’assises, bénéficier des dispositions de l’article 5-3 CEDH qui accordent à toute personne arrêtée ou détenue le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ou libérée pendant la procédure. Ce n’est qu’après une cassation ne laissant rien subsister de la déclaration de culpabilité qu’il recouvre de nouveau l’usage de ce droit jusqu’à ce qu’il ait été jugé à nouveau au fond ». Pour la Cour, « il en résulte qu’en cas de pourvoi, une chambre d’accusation saisie d’une demande de mise en liberté formée en application de l’article 148-1 al. 3 C.P.P,  n’est pas autorisée à libérer un accusé sur le fondement de ces dispositions conventionnelles » [13].

Cet arrêt est un exemple manifeste des difficultés la Cour de cassation à accepter la primauté de la CEDH dans l’ordre juridique français. Le respect de l’article 5-3 CEDH doit se concevoir dans l’ensemble du processus juridictionnel, c’est-à-dire que le droit d’invoquer la mise en liberté provisoire assortie de l’exigence de respecter les obligations d’un contrôle judiciaire est un droit fondamental devant être garanti à tout  accusé ne soulevant pas de difficultés de représentation en justice. De plus, l’exécution de la peine est suspendue jusqu’à ce que la Cour, saisie d’un recours en cassation, se soit prononcée. Il est donc nécessaire d’analyser un tel arrêt en mettant l’art. 5-3 CEDH en relation avec l’art. 6-2 CEDH qui pose le principe de la présomption d’innocence jusqu’à ce qu’un tribunal ait définitivement statué sur la culpabilité du prévenu ou de l’accusé. Cet arrêt est contestable, dans la mesure où lorsqu’il y a appel ou pourvoi en cassation après condamnation au fond même si elle n’est pas définitive, la personne ne peut invoquer l’art. 5-3 CEDH mais l’art. 5-1 c CEDH [14].

A contrario, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé le 18 mai 1998, dans l’arrêt « Jean Ebina » qu’encourt la cassation l’arrêt de la chambre d’accusation qui, saisie d’une demande de mise en liberté formée par un accusé dans les conditions prévues par  l’article 148-1 C.P.P., la rejette sans répondre au mémoire de l’intéressé qui invoquait les dispositions de l’article 5-3 CEDH. L’affaire Ebina concerne un individu renvoyé devant la cour d’assises de Seine-et-Marne  sous l’accusation de viols aggravés et qui demande à la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris sa mise en liberté dans l’attente du procès laquelle rejette sa demande. La Cour censure cette décision en estimant « qu’attendu que les juges sont tenus de répondre aux chefs d’articulations essentielles des mémoires dont ils sont saisis ; l’arrêt rejetant la demande de mise en liberté se borne à énoncer que les motifs retenus par la loi du 30 décembre 1996 modifiant les art. 144 C.P.P et suivants en estimant que les faits de viols aggravés qui lui sont imputés causent à l’ordre public un trouble exceptionnel et toujours persistant et que son maintien en détention est le seul moyen d’éviter qu’il n’exerce des pressions sur la victime et ne se soustraie à l’action de la justice, des mesures de contrôle judiciaire étant insuffisantes à prévenir une telle éventualité » . Certes, de tels motifs sont susceptibles de justifier un maintien en détention mais, depuis l’entrée en vigueur de la loi susmentionnée, la Cour de cassation exige que les chambres d’accusation statuent sur l’article 5 CEDH lorsque ce moyen est soulevé dans le mémoire qui lui est présenté par l’accusé,  faute de quoi la cassation de leur décision est encourue car un tel défaut de motivation prive leur décision de base légale. Logiquement, en application de sa jurisprudence constante depuis 1997, la Cour casse la décision. Il est à remarquer que si en 1997, de nombreuses décisions de chambres d’accusation furent cassées en raison d’une non prise en considération des dispositions de l’art. 5-3 CEDH, la jurisprudence 1998 démontre que de telles cassations furent plus rares, les chambres d’accusation s’étant pliées aux exigences de motivation de la Cour de cassation. Il est à noter que peu de pourvois sont fondés sur l’article 5-3 CED. Les avocats fondant leurs pourvois sur les articles 144 CP.P. et suivants alors que l’article 5-3 CEDH est plus exigeant quant au respect des droits de la personne mise en examen ou placée en détention provisoire et à la motivation de la décision de rejet d’une demande de mise en liberté dans l’attente du jugement. Néanmoins, la  jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’art. 148-3 C.P.P. est en harmonie avec la jurisprudence de la Cour EDH.

 

2) le droit au procès équitable rendu par un tribunal impartial

 

La jurisprudence  de 1998 relative à  l’application de l’article 6 CEDH est très riche tant sur la nature des droits et obligations de caractère civil et la contestation des sanctions de nature pénale, que sur la composition et le fonctionnement des juridictions.

 

a) la nature des droits et obligations de caractère civil et la contestation des sanctions de nature pénale

 

Le CE, dans l’arrêt « Trany rendu » le 7 janvier 1998 a statué sur la nature des sanctions disciplinaires prononcées par la section des assurances sociales du conseil national de l’ordre des médecins prononçant une interdiction professionnelle de trois mois. Il s’agissait d’un kinésithérapeute s’étant rendu coupable de fraudes dans l’exercice de ses fonctions et de doubles facturations [15] [16].  Si le C.E. considère qu’il y a applicabilité de l’article 6-1 CEDH quant à l’interdiction d’exercice qui concerne des « droits et obligations de caractère civil » en raison des conséquences patrimoniales qu’elle implique, il rejette toute violation des règles d’impartialité dans la composition du conseil national de l’ordre. Cet arrêt confirme la jurisprudence constante de la Cour EDH à l’égard des décisions disciplinaires ordinales.  Par ailleurs, la Cour de cassation a étendu le 11 juillet 1998 le bénéfice de l’article 6-1 aux décisions de radiation d’un avocat par le  Conseil de l’ordre des avocats à la suite du non-paiement des cotisations professionnelles mises à sa charge par le conseil de l’ordre qui entraînerait alors son omission au tableau, c’est-à-dire sa radiation du conseil de l’ordre des avocats [17].

 

  De surcroît, le C.E. a reconnu en 1998,dans une série d’arrêts, l’applicabilité de l’article 6-1 CEDH au contentieux des prestations d’aide sociale. Dans sa jurisprudence antérieure, le CE rejetait toute application de l’article 6-1 aux litiges portés devant la commission d’aide sociale concernant le montant de la participation individuelle aux frais d’hébergement  [18].  Mais le C.E.  avait déjà admis l’applicabilité de l’article 6-1 CEDH  en estimant que la Commission centrale d’aide sociale, tranche sur des droits et obligations à caractère civil, lorsqu’elle statue sur l’action exercée par un département sur le fondement de l’article 146 du C. de la famille, en vue de récupérer l’allocation  compensatrice en faveur des handicapés sur la succession d’un allocataire décédé [19].

Le CE a élargi, dans son arrêt du 27 mars 1998 « C.C.AS. de la Rochelle »,  l’applicabilité de l’article 6-1 CEDH à la contestation devant la commission centrale d’aide sociale saisie par la voie de l’appel des décisions de refus de la prise en charge des repas  au foyer-restaurant pour personnes âgées géré par un C.C.A.S. Il estime que cette décision a le caractère d’une décision juridictionnelle qui, relative à une prestation d’aide sociale, tranche une contestation sur des obligations à caractère civil [20].  Mais le CE étend aussi l’article 6-1 aux contentieux portés devant ladite commission et concernant le refus du président du conseil général de verser à une personne l’allocation compensatrice prévue par l’article 39 de la loi du 30 juin 1975 relative aux personnes handicapées, celle-ci ayant le caractère d’une décision juridictionnelle relative à une prestation d’aide sociale [21].

  De plus, dans ces espèces le C.E. annule les décisions en raison du défaut de publicité des débats de  l’audience durant laquelle la commission centrale d’aide sociale a statué ; cette publicité étant requise par l’article 6-1 CEDH.

 

Cette avancée jurisprudentielle du CE dans  les deux arrêts rendus le 27 mars 1998 s’appuie sur les conclusions  d’Agnès Daussun, commissaire du gouvernement  [22].  A cette occasion, elle analyse la jurisprudence de la Cour EDH qui, depuis les arrêts « Feldbrugge et Deumeland » du 29 mai 1986 (Série A n°99 et 100) reconnaît  l’applicabilité de l’article 6-1 CEDH aux prestations d’assurance maladie en tant que droits et obligations de caractère civil mais aussi, en élargissant, depuis 1993, son domaine d’application à des prestations sociales diverses [23].  La Cour avait, selon A. Daussun,  dégagé quatre critères permettant de faire entrer de tels litiges dans le champ d’application de l’article 6 : l’existence d’un droit fondé sur une loi, le caractère patrimonial de ce droit reconnu comme droit pécuniaire (au sens d’economic right), le critère de l’atteinte dans les moyens d’existence du requérant qu’entraînerait le refus de reconnaissance du droit  litigieux et l’absence de prérogative discrétionnaire de la part des autorités publiques.

Dans les deux arrêts rendus par le C.E., le critère de la base juridique législative est satisfait. Il s’agit de l’article 39 de la loi du 30 juin 1975 d’orientation relative aux personnes handicapées et des art. 157 et 163 du code de la famille et de l’aide sociale ; la première disposition prévoit le versement d’une allocation compensatrice qui est reconnue comme une prestation pécuniaire permettant soit le maintien à domicile de la personne handicapée, soit la prise en charge de son hébergement,  le code de la famille prévoit de plus la prise en charge des repas dans un foyer-restaurant pour personnes âgées. Si le versement de ces prestations est soumis à un plafond de ressources, le refus d’attribution de ces prestations concerne concrètement les conditions d’existence des requérants. Enfin, les autorités publiques ne disposent d’aucune compétence discrétionnaire en l’espèce. Dès lors, le C.E. applique les critères retenus par la Cour EDH et reconnaît à ces droits sociaux un caractère patrimonial impliquant l’applicabilité de l’article 6 CEDH et, notamment, la publicité des audiences des commissions centrales d’aide sociale.

 

b) la contestation des sanctions de nature pénale

 

Ces contestations de nature pénale sont les recours à l’encontre des décisions rendues par les juridictions pénales, les juridictions fiscales mais aussi contre les mesures à caractère disciplinaire.

 

Le C.E. a opéré en 1998 un revirement jurisprudentiel en acceptant l’applicabilité de l’art. 6-1 CEDH à la procédure devant la Cour de discipline budgétaire et financière en exigeant la publicité des audiences mais aussi en reconnaissant que les amendes prononcées par cette cour contre les agents publics ayant des fonctions de comptables publics sont des sanctions de nature pénale.

Ce revirement était attendu après la  décision de la Commission EDH du 9 mars 1998 « Guisset c/ France » [24]. Pour la Commission, les sanctions d’amende prononcées par la Cour de discipline budgétaire et financière à l’encontre des ordonnateurs en vertu des art. L. 313-1 à L. 313-6 du Code des juridictions financières (Livre III, Titre Ier) constituent des accusations en matière pénale au sens de l’article 6-1 CEDH. Cette qualification est fondée à titre principal sur la nature « pénale » de l’infraction réprimée. La Commission estime que l’objectif à la fois répressif et préventif est indéniable en l’espèce afin de dissuader de toute mauvaise gestion des deniers publics. Le caractère pénal de l’amende encourue résulte, selon la Commission, de sa gravité puisque l’intéressé peut se voir condamné à verser une amende équivalant au double de son salaire brut mensuel  [25].

Néanmoins, le C.E. a rendu le 4 avril 1998 l’arrêt  « Mme Barthélémy » [26] dans lequel le CE rejette toute violation de l’art. 6-1 CEDH en raison du caractère non public de l’audience et parce que la procédure par laquelle la Cour des comptes déclare éventuellement un comptable public débiteur en raison d’une mauvaise exécution de ses missions, après communication de l’essentiel des griefs reprochés, respecte le principe du caractère contradictoire de la procédure. De, plus, le CE refuse toute application de l’article 6-1 CEDH à cette procédure, « parce que la Cour des comptes, lorsqu’elle juge les comptes des comptables publics en vertu de l’art. 1er de la loi du 22 juin 1967, ne statue pas en matière pénale et ne tranche pas sur des contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil » [27].

    Mais le C.E. modifie ultérieurement sa jurisprudence sur ce point dans l’arrêt Lorenzi du 30 octobre 1998 dans lequel il décide que quand elle est saisie d’agissements pouvant donner lieu aux amendes prévues par la loi susvisée, la Cour de discipline budgétaire et financière doit être regardée comme décidant du bien-fondé « d’accusations en matière pénale » aux sens des stipulations de l’article 6 CEDH et doit, dès lors, siéger en séance publique sans que puissent y faire obstacle les dispositions susmentionnées du Code des juridictions financières ou de l’article 23 de la loi du 25 septembre 1948. Le CE casse l’arrêt rendu par la cour de discipline budgétaire et financière siégeant dans une audience non publique et infligeant à M. Lorenzi une amende et renvoie l’affaire devant la Cour de discipline budgétaire et financière [28]. L’arrêt Lorenzi a été partiellement confirmé par l’arrêt du C.E.  du 16 novembre 1998 Sarl Deltana en matière de gestion de fait. Le C.E. exige la publicité des débats lorsque la chambre régionale des comptes prononce des amendes pour gestion de fait [29].

Ces arrêts constituent une lente avancée de l’application de l’article 6-1 au droit disciplinaire, le CE considérant implicitement que les fonctionnaires sont placés dans un rapport particulier de sujétion vis-à-vis de l’État.

 

En effet, le CE, dans l’arrêt Notin du 28 septembre 1998, rejette toute application de l’art. 6-1 CEDH en matière de sanction disciplinaire infligée par le Conseil national de l’enseignement et de la recherche à l’intéressé  [30]. M. Notin, maître de conférences à l’université de Lyon III avait publié en 1990 un article dans la revue «Économies et sociétés ». Le CE estime que le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a relevé dans sa décision que l’intéressé contribuait à la campagne négationniste en s’appuyant exclusivement sur des arguments non scientifiques, en écartant au contraire tous les travaux historiques et en mettant en cause la rigueur des témoins des chambres à gaz, s’est donc livré à une appréciation souveraine des pièces du dossier qui n’est pas entachée de dénaturation. Le CNESER a pu légalement en déduire que le requérant a manqué aux obligations d’objectivité et de tolérance imposées par les dispositions de l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984 et lui infliger la sanction d’interdiction d’accéder à une classe, grade, rang ou corps supérieurs pendant une durée de deux ans. Le CE estime que la contestation par un fonctionnaire de la sanction disciplinaire qui lui a été infligée n’est ni relative à un droit ni à une obligation de caractère civil, ni au bien-fondé d’une accusation en matière pénale et ne relève pas du champ d’application de l’art. 6 CEDH. L’arrêt Notin confirme la jurisprudence antérieure du C.E. à l’égard du CNESER.

 

   Cependant, ce considérant est discutable au regard de la jurisprudence classique de la Cour EDH qui considère, depuis l’arrêt Engels c./ Pays-Bas du 8 juin 1975 [31], qu’entrent, dans le champ d’application de l’article 6-1 CEDH au titre de la matière pénale, certains critères alternatifs comme la qualification donnée par le droit interne à l’infraction, la nature de cette infraction et la gravité de la sanction ou les conséquences de cette sanction sur la situation personnelle de la personne sanctionnée. De plus, la CEDH reconnaît à certaines commissions ou conseils, la qualité de tribunal au sens de l’article 6 CEDH à condition qu’ils soient créés par la loi ou les règlements et investis d’une fonction juridictionnelle et d’un pouvoir de sanction. Le CNESER présente  de telles caractéristiques et ses décisions, comme la sanction infligée au requérant, sont d’une gravité suffisante pour relever soit de la matière civile, soit de la matière pénale si l’on considère que la sanction a un caractère punitif et dissuasif . C’est pourquoi, le C.E. devrait, selon nous, admettre l’applicabilité de l’article 6 CEDH  aux décisions du CNESER.  Néanmoins, il est nécessaire de rappeler que l’arrêt Notin, contrairement à l’arrêt Engels est seulement une sanction pécuniaire non privative de liberté qui se rattache à un contentieux portant sur des droits et obligation de caractère civil.

En outre, la chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé en dans l’arrêt du 28 octobre1998, « Charnalet c./ Directeurs Général des Impôts » [32], l’intégration des exigences procédurales posées par l’article 6-1 CEDH dans l’ordre juridique interne français et notamment le droit du justiciable à un recours de pleine juridiction à l’encontre d’amendes et de majorations fiscales prévues par l’art. 1640 N quater CGI qui sont de nature pénale , droit qu’elle avait reconnu le 29 avril 1997 dans son arrêt « Ferreira c. Directeur. Général des Impôts » [33].

 

   Mais, en revanche,  le C.E. d’est refusé à suivre une évolution analogue et maintient dans son avis M. Fattell du 8 juillet 1998, une attitude très différente. Le CE reconnaît que l’art. 6-1 CEDH est applicable à la contestation des majorations d’impôts prévues par l’article 1729 CGI qui, dès lors qu’elles présentent le caractère d’une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu’elles visent et constituent des accusations en matière pénales au sens de l’art. 6-1 CEDH. Il s’agit là d’une jurisprudence constante depuis l’avis Méric rendu par le C.E. le 11 mars 1995 [34] qui entérine l’arrêt de la Cour EDH du 24 février 1994 Bendenoum c/ France jugeant que les pénalités fiscales ayant pour but d’éviter la réitération de la fraude ont un caractère punitif relèvent ainsi de la matière pénale. 

   Le CE, dans l’avis Fattell, a été amené à statuer sur l’étendue de la compétence du juge fiscal en matière de majoration fiscales. Les dispositions de l’art. 1729 al. 1 CGI modulent le taux des pénalités qui varient de 40% si la mauvaise foi de l’intéressé est établie, à 80% s’il s’est rendu coupable de manœuvres frauduleuses. Le CE refuse que le juge fiscal puisse moduler le taux de majoration prévu par la loi. L’avis du CE relève que « le  juge fiscal après avoir exercé son « plein contrôle » sur les faits invoqués et la qualification retenus par l’administration fiscale, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir ou d’appliquer la majoration effectivement encourue au taux prévu par la loi, sans pouvoir moduler celui-ci compte tenu de la gravité de la faute commise par le contribuable, soit, s’il estime que l’administration n’établit, ni que celui-ci se serait rendu coupable de manœuvres frauduleuses, ni que celui-ci aurait agi de mauvaise foi, de ne laisser à sa charge que des intérêts de retard. Les stipulations de l’art. 6-1 CEDH ne l’obligent pas à différer différemment » [35] [36].  Désormais, à la suite de l’avis Fattell, le juge fiscal peut réformer les majorations retenues par l’administration fiscale et substituer à des majorations prononcées au taux de 80% des majorations de 40% ou de simples majorations de retard qui sont fixées à 0,75% par mois. Il est toujours tenu d’appliquer le taux de majoration prévu par la loi sans pouvoir les moduler en tenant compte de la gravité de la faute commise par le contribuable. La jurisprudence antérieure du CE avait déjà reconnu au juge fiscal un pouvoir de réformation des motifs sur lesquels étaient fondés les poursuites, par exemple, de ramener la mauvaise foi et les manœuvres frauduleuses à la simple bonne foi et la majoration afférente [37].

 

Le juge fiscal ne bénéficie, en l’occurrence, que d’un « plein contrôle » sur les faits et la qualification juridique retenue par l’administration, sans avoir les prérogatives d’un juge de plein contentieux, situation qui l’amènerait à être en droit de moduler l’amende en tenant compte in concreto de la gravité de la faute du contribuable.  Si l’avis Fattell constitue indéniablement un progrès puisqu’il se base sur l’article 6-1 CEDH, il demeure insuffisant, en raison de la qualité d’accusations en matière pénale reconnue à ces majorations. Le CE manifeste une forte réticence à une applicabilité plénière de l’art. 6-1 devant le juge fiscal en raison du soi-disant « principe de l’autonomie du droit fiscal » qui doit être abandonné au profit du respect du principe de l’égalité des armes et des droits des justiciables face à la puissance publique. Le CE juge implicitement que la loi ne donne pas au juge fiscal les mêmes prérogatives qu’au juge pénal. C’est ainsi que le juge fiscal ne peut, contrairement au juge pénal, statuer sur le quantum de la majoration et/ou de l’amende. En outre, il s’agit aussi du refus d’appliquer le principe fondamental du droit pénal que constitue l’individualisation de la peine qui devrait aussi s’appliquer devant le juge fiscal en application de l’art. 6-1 CEDH. La seule manière de permettre une individualisation de la peine qui ne soit pas arbitraire en laissant un juge fiscal être plus répressif qu’un autre serait de déterminer, dans un article 1729 du CGI modifié, des taux de majorations intermédiaires sanctionnant des comportements plus différenciés impliquant des degrés différents quant à la fraude fiscale et à l’attitude du contribuable.  Cette révision du CGI permettrait au juge fiscal d’exercer à la fois un contrôle in concreto de l’infraction, de ne plus se limiter à un pouvoir de réformation du taux de majoration mais d’avoir les moyens de fixer le quantum de la majoration eu égard au comportement du contribuable. Il est inéquitable que la loi fiscale refuse au contribuable la garantie de faire face au juge fiscal en ne lui offrant pas les mêmes garanties juridictionnelles que le juge pénal. Il s’agit en outre de la considération pérenne, typiquement française, de reconnaître davantage de droits à la puissance publique qu’au justiciable. Il est plus que temps de mettre fin à cette relation inégalitaire contraire à l’esprit de la CEDH. En effet, si les fonctionnaires sont encore placés dans une situation de sujétion face à l’État, puissance publique, dans l’exercice du droit disciplinaire ; il ne saurait en être de même des citoyens ou justiciables face au juge, fut-il fiscal.

 

    Enfin, l’article 6-1 CEDH ne s’applique pas aux décisions de révocation d’une condamnation ferme avec obligation d’effectuer un travail d’intérêt général. La chambre criminelle de la Cour de cassation a statué le 10 mars 1998, dans l’arrêt Chatelain, sur la révocation totale d’une condamnation à une peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis assortie de l’obligation expresse d’effectuer cent heures de T.I.G. dans un délai de dix-huit mois  à la suite de la saisine du tribunal correctionnel par le juge d’application des peines en raison du refus de l’intéressé de se soumettre à ses obligations. Mais surtout, la Cour juge que l’arrêt de la cour d’appel rejetant l’applicabilité de l’art. 6-1 CEDH aux instances statuant sur un incident d’exécution est juridiquement fondé, l’intéressé ayant bénéficié de la garantie de l’art. 7 CEDH lors de son procès [38].

 

c) le respect de l’impartialité et de l’indépendance du tribunal dans sa composition et son fonctionnement

 

La Cour de cassation continue à définir  les règles relatives à l’indépendance et à l’impartialité du tribunal.

Il y a violation du principe d’indépendance dans la composition du tribunal lorsque sa composition légale n’en fait qu’un bras armé de l’administration ou d’une association ou organisation chargée d’une mission de service public dont il est seulement une « vague émanation » en raison de sa grande dépendance structurelle vis-à-vis de cette dernière. Cette dépendance structurelle s’étendant comme une mainmise de ce service public sur la composition du tribunal compétent pour juger les litiges relevant de sa compétence. Cette situation particulière soulève la question de l’indépendance du juge en raison de sa composition et de sa dépendance vis-à-vis des pouvoirs publics.

C’est ainsi que la chambre sociale de la Cour de cassation a décidé dans l’arrêt Madaci du 17 décembre 1998 que le fait que le tribunal du contentieux de l’incapacité de travail soit présidé par le directeur régional des Affaires sanitaires et sociales ou son représentant, fonctionnaire soumis à une autorité hiérarchique et étant en raison de ses fonctions avec la caisse primaire, partie au litige, et, en application de l’article R. 143-4 du Code de la sécurité sociale chargé de désigner le médecin-expert appartenant à cette juridiction dont la voix est prépondérante (en vertu de l’art. R. 143-11 dudit Code) sont des éléments de nature à faire naître dans l’esprit du justiciable des doutes sur l’impartialité et l’indépendance du tribunal. La Cour  casse donc la décision du tribunal de l’incapacité en estimant qu’il y a violation de l’article 6-1 CEDH, la cause n’ayant pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial [39].

 

La chambre criminelle de la cour de cassation  a été amenée, dans l’arrêt « M. » rendu le 22 septembre 1998, à statuer sur la composition et l’indépendance, au regard de l’article 6-1 CEDH de la cour d’assises spéciale compétente pour juger les actes de terrorisme et, par exception, uniquement composée de magistrats pour éviter toutes formes de pression sur les membres du jury. La Cour rejette toute violation de l’art. 6 en raison de cette composition particulière de la cour d’assises, les magistrats membres de la cour d’assises spéciale étant désignés par le président de la cour d’appel en application des art. 248 à 253 CP.P.P [40].

     Mais la jurisprudence de la Cour de cassation en 1998 est noter sous l’angle particulier de la distinction entre impartialité subjective et impartialité objective des magistrats ou de la composition du tribunal laquelle distinction s’appuie tant sur la jurisprudence de la CEDH que sur celle de la cour de Cassation.

L’impartialité subjective résulte, selon la CEDH, du comportement personnel ou des convictions du juge, tant dans son instruction que lors de l’audience, ayant pour conséquence de ne plus offrir au justiciable la garantie d’un examen impartial de sa cause. La CEDH estime que l’impartialité subjective se présume jusqu’à preuve du contraire [41].

La CEDH a jugé le 20 mai 1998, dans l’affaire « Gautrin c./ France » que la composition du conseil régional de l’ordre des médecins de l’Île-de-France violait l’art. 6-1 CEDH et l’impartialité subjective [42]. M. Gautrin, médecin, appartenait à une association de médecins dénommée « SOS Médecins » destinée à assurer un service de gardes médicales d’urgence sur appel des patients. M. Gautrin et plusieurs de ses collègues furent poursuivis devant le conseil de l’ordre afin de juger si le fait de faire figurer sur leurs véhicules et leur ordonnances la mentions « SOS Médecins » constituait une violation de l’article 23 du code de déontologie médicale interdisant toute forme de publicité. Dans la région d’Île-de-France existent d’autres associations de médecins urgentistes dont trois membres siégeaient parmi les membres de la section disciplinaire du conseil de l’ordre. La CEDH estime qu’il y a violation de l’impartialité subjective parce que ces trois membres ayant déjà eu des différends avec l’association « SOS médecins » ne présentaient pas la garantie d’un jugement impartial en raison de leur hostilité manifeste à ladite association. Cet arrêt illustre manifestement les intérêts croisés des différents praticiens en raison de leur exercice de la médecine et les modalités de désignation des membres du conseil régional de l’ordre. La partialité de ces trois médecins aurait dû mener à leur retrait de la section disciplinaire ou à leur récusation. L’arrêt Gautrin confirme l’arrêt de la CEDH du 22 avril 1994, « Saraiva de Carvalho » c./ Portugal dans lequel la CEDH estime que « l’impartialité au sens de l’art. 6-1 CEDH s’apprécie selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en une telle occasion ; la seconde amène à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes à cet égard de tout doute légitime » [43].  Il est manifeste que les circonstances dans lesquelles la section disciplinaire du conseil de l’ordre a statué, mènent à conclure à une grossière violation du principe d’impartialité subjective jetant le discrédit sur la justice ordinale.

Mais l’impartialité subjective peut aussi résulter du comportement d’un juré lors d’un procès d’assises qui déclare publiquement avant la reprise d’une audience qu’il était raciste alors que l’accusé était un Français d’origine maghrébine. Ces propos avaient été portés, par un témoin de la scène,  à la connaissance de la cour qui avait refusé de récuser ce juré qui avait été identifié. Mais la Cour EDH a estimé que ces faits constituaient une violation du principe d’impartialité et a condamné la France le 23 avril 1996 dans l’arrêt « Remli c/ France ». La Cour estime que ces propos constituent une violation de l’article 6-1 CEDH. La CEDH rappelle dans l’arrêt que, selon sa jurisprudence, les principes relatifs à l’indépendance et à l’impartialité des tribunaux valent pour les jurés comme pour les magistrats professionnels ou non [44]. Selon la Cour, « l’article 6-1 CEDH implique pour toute juridiction nationale l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue « un tribunal impartial » au sens de cette disposition lorsque, comme en l’espèce, surgit sur ce point une contestation qui n’apparaît pas d’emblée manifestement dépourvue de sérieux » (§ 48). La condamnation de la France est très nette, « or dans la présente affaire, la cour d’assises n’a pas procédé à une telle vérification, privant ainsi l’accusé de la possibilité de remédier, le cas échéant, à une situation contraire aux exigences de la Convention. Cette constatation, eu égard à la confiance que les tribunaux d'une société démocratique doivent inspirer au justiciable, suffit à la Cour pour conclure à la violation de l’art. 6-1 CEDH » (§ 49).

Il y a ainsi une double violation du principe d’impartialité à la fois subjective mais aussi de l’impartialité objective et concrète puisque la cour d’assises n’a pas eu le comportement exigé par la Cour dans les paragraphes susmentionnés.

    La chambre criminelle de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure de 1996 en matière d’impartialité subjective  [45]  en rejetant, le 20 janvier 1998, un pourvoi mettant en cause l’impartialité d’un avocat général au motif qu’il est le parrain du fils du principal prévenu. Elle estime  que la garantie du droit à un tribunal indépendant énoncée à l’article 6 CEDH ne vise que les juges et non le représentant de l’accusation, c’est-à-dire l’avocat général parce que le ministère public ne décide pas du bien-fondé de l’accusation en matière pénale, le moyen tiré de l’éventuelle partialité de ce magistrat est inopérant  [46]. Si la justice pénale française est marquée entre la dualité des fonctions d’instruction dévolues au parquet et des fonctions de jugement confiées aux magistrats du siège. Mais comme le rappelle, G. Yldirim, la partialité du ministère public peut se manifester dans le déclenchement de l’action publique et le contenu de ses poursuites gouvernés par le principe d’opportunité.

 

Cependant,  il est nécessaire de relever que l’instruction peut être menée avec partialité. Il en est ainsi, selon l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation  « X. » du 4 mars 1998, soit lorsqu’un juge d’instruction instruisant sur des faits  de diffamation avec constitution de  partie civile formée par un enseignant publiquement accusé par une élève de s’être livré à des attouchements sexuels sur des jeunes filles, lui oppose un refus d’informer injustifié, soit en menant l’instruction sur les faits dénoncés en ne tenant compte que des arguments d’une partie au procès et en rejetant  ceux de l’autre partie. Ce comportement constitue au sens de l’art. 6-1 CEDH, un élément objectif de nature à faire naître dans l’esprit de la partie civile un doute sur son impartialité. Dès lors, il existe des motifs suffisants, au sens de l’article 662 C.P.P. (envisageant les situations amenant un juge d’instruction à être dessaisi, notamment pour cause de suspicion légitime) que de l’art. 6 CEDH pour attribuer à un autre juge d’instruction la connaissance de cette information. [47].  De plus, il y a violation de l’art. 6 lorsque après un pourvoi en cassation, censurant la décision de ce juge d’instruction, il est fait retour du dossier à ce juge initialement chargé de la procédure.

 

Le principe d’impartialité dans la composition du tribunal a été réaffirmé par la chambre sociale de la Cour de cassation, le 18 novembre 1998. La chambre sociale casse pour violation de l’art. 6-1 CEDH de l’arrêt qui, pour rejeter la demande de récusation d’un conseiller prud’homal, se borne à énoncer que les manquements éventuels à l’obligation d’impartialité résultant de l’article 6-1 CEDH ne peuvent être sanctionnés qu’a posteriori  par la nullité de la décision rendue, sans examiner si les circonstances invoquées par l’employeur, tirées de ce que le salarié, demandeur devant le tribunal des prud’hommes, vivait maritalement avec la nièce du conseiller prud’homal qui avait refusé de s’abstenir de siéger à l’audience, constituaient une violation du principe d’impartialité édicté par l’article 6-1 CEDH [48]. Cet arrêt confirme le renforcement de l’exigence de la chambre sociale de la cour de cassation du respect d’impartialité dans la composition même du tribunal, notamment, en matière prud’homale comme elle l’avait déjà montré dans son arrêt du 8 janvier 1997 Dalmont c/ Mme Sulpice [49] [50].

     L’arrêt « Mme Esclatine » rendu par le C.E. le 29 juillet 1998 précise le statut du commissaire du gouvernement en reconnaissant qu’il est membre de la juridiction de jugement et qu’il participe à la fonction de juger dévolue à la juridiction dont il est membre.  Cette reconnaissance de la « participation du commissaire du gouvernement à la formation de jugement » rend la composition particulière des juridictions administratives françaises en conformité  avec les exigences de la jurisprudence de la CEDH.

Le C.E. estime que le principe du contradictoire exige la transmission contradictoire, qui tend à assurer l’égalité des parties devant le juge, implique la communication à chacune des parties de l’ensemble des pièces du dossier, ainsi que, le cas échéant, des moyens relevés d’office. Ces règles sont applicables à l’ensemble de la procédure d’instruction à laquelle il est procédé  sous la direction de la juridiction.  Mais le C.E. refuse que les conclusions du commissaire du gouvernement fassent l’objet d’une communication préalable aux parties. Le commissaire du gouvernement, s’exprimant, après les conclusions des conseils des parties, est indépendant puisqu’il ne représente pas l’État, sa fonction étant de présenter au C.E. un rappel des lois et règlements applicables à l’espèce ainsi que la jurisprudence antérieure du Conseil mais aussi de la Cour EDH. L’intervention du Commissaire du gouvernement se situe à la fin de la phase d’instruction et, dans la phase liminaire du jugement, c’est-à-dire après l’intervention des avocats des parties, ses conclusions étant présentées au C.E. qui met en délibéré un jugement qu’il rend ensuite.  La non-communication du sens des conclusions du commissaire du gouvernement aux parties ne saurait s’imposer parce que ce dernier n’est pas soumis au principe du contradictoire applicable à l’instruction [51].

 Le commissaire du gouvernement intervient dans les litiges dont est saisi en appel le C.E. et à titre exceptionnel comme juge de cassation. Il est impossible de comparer les fonctions de commissaire de gouvernement à celles d’avocat général de la Cour de Cassation, ce dernier étant le représentant du ministère public (parquet) qui propose à la Cour d’accepter ou de rejeter un pourvoi en cassation, sans pour autant, participer à la juridiction de jugement dont l’arrêt est ensuite mis en délibéré.

Si la Cour EDH a condamné la France  dans l’arrêt Rheinhard et Slimane Kaïd c/ France du 31 mars 1998 [52] en application du principe de l’égalité des armes », elle l’a fait, comme le rappelle Didier Chavaux dans ses conclusions de l’arrêt Mme Esclatine, en tenant compte de la procédure qui n’était pas observée à la date des faits litigieux, laquelle procédure devant la Cour de cassation est désormais respectée. Il s’agit, en l’occurrence, de l’information des parties par l’avocat général, quelques jours avant l’audience, du sens des conclusions qu’il entend présenter afin de leur donner la possibilité de répondre après avoir entendu l’avocat général, soit en présentant des observations orales, soit en déposant une note en délibéré [53] [54].  Mais la procédure pénale n’a pas les mêmes effets et conséquences que la procédure juridictionnelle administrative quant à d’éventuelles  mesures privatives de libertés ou du prononcé d’amendes lesquelles sont assimilées à des mesures de caractère pénal.

 

    De surcroît, l’impartialité objective est entendue abstraitement et concrètement.

Ces deux acceptions de l’impartialité ont été développées à la fois par la Cour EDH et la Cour de cassation [55].

La Cour EDH a consacré l’impartialité objective abstraite dans l’arrêt « Piersack c. Belgique » du 1er octobre 1982 [56], affaire dans laquelle la CEDH estime qu’il y violation de l’impartialité objective abstraite lorsqu’un substitut chargé d’une affaire criminelle qu’il instruit est ensuite nommé président de la cour d’assises appelée à juger l’accusé. Une telle confusion des fonctions d’instruction et de jugement mène à une violation de l’art. 6-1 puisque ce substitut ayant renvoyé un accusé devant cette cour d’assises a déjà préjugé de la culpabilité de l’accusé [57]. Il suffit que le même magistrat ait siégé dans la phase d’instruction d’une affaire puis participé à son jugement pour que l’impartialité objective abstraite soit violée quel que soit le comportement du magistrat.

Cette exigence d’impartialité objective a été marquée dans l’arrêt Procola rendu par la Cour EDH le 28 sept. 1995 à propos du Conseil d’État luxembourgeois jouant à la fois le rôle de conseiller juridique du gouvernement et de juge des décisions prises par le gouvernement luxembourgeois (Série A n°326).

 

Par contre, l’impartialité objective concrète est entendue comme l’ensemble des situations éventuelles visant la violation d’une règle de droit interne, ou un système juridictionnel organiquement suspect de partialité en raison de la confusion des fonctions d’instruction et de jugement, ou lorsqu’un juge connaît de l’appel d’une décision qu’il a rendue. La CEDH l’a reconnu dans l’arrêt Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989 (Série n° 154) à propos d’un magistrat intervenant lors de la décision du placement en détention du requérant puis participant ensuite à son jugement. Il en est de même de magistrats français membre d’une chambre d’accusation ayant rejeté une demande de mise en liberté de l’inculpé, puis membres de la chambre correctionnelle de la cour d’appel qui l’avait condamné. En l’espèce, la CEDH avait considéré que l’on ne pouvait estimer qu’il y avait violation du principe d’impartialité objective parce qu’il n’y avait pas connexité entre les faits sur lesquels se fondait la demande de mise en liberté et les éléments amenant la chambre correctionnelle à juger le prévenu [58].

La Cour de cassation a rendu quelques arrêts concernant l’impartialité objective abstraite. C’est ainsi qu’un magistrat d’une cour d’appel ayant rendu un arrêt cassé ne peut siéger lors de l’audience de renvoi après cassation [59] ou qu’un magistrat ayant participé aux actes de poursuite  ne peut en connaître comme juge en raison de l’interdiction de la confusion des actes de poursuites et de jugement [60].  Cette situation vise aussi un membre du parquet qu’il s’agisse d’un procureur, du substitut d’un procureur ou d’un juge d’instruction ayant ordonné ou fait des actes de poursuite à charge et à décharge contre une personne mise en examen ce membre du parquet devenant ensuite un juge du siège. Les principes gouvernant l’impartialité objective abstraite lui interdisent de participer à la juridiction de jugement appelée à statuer sur l’affaire litigieuse parce que les actes accomplis en tant que membre du parquet l’ont amené à préjuger de l’éventuelle culpabilité du mis en examen. Ce dernier a, évidemment, le droit de demander la récusation de ce magistrat dès l’ouverture du procès. De plus, il est de plus en plus fréquent en France, que des magistrats du parquet deviennent juges du siège au cours de leur carrière.

 

La Cour de cassation a déjà statué régulièrement sur l’impartialité objective concrète en censurant nombre de décisions dans lesquelles le juge de première instance siégeait comme membre de la juridiction d’appel ou lorsqu’un juge aux affaires familiales lors d’un divorce est ensuite désigné comme juge assesseur appelé à suppléer le président de la cour d’assises devant juger l’ex-époux de viols aggravés de sa fille mineure, circonstance qui avait pesé dans le jugement de divorce prononcé à ses torts [61]. La Cour de cassation avait estimé, en l’espèce que l’impartialité s’apprécie objectivement.  A contrario, l’impartialité est respectée lorsqu’un même juge est appelé à connaître de litiges successifs concernant la même personne à la condition qu’il n’y ait aucun lien de connexité entre ces affaires.  Par exception statutaire, le juge des enfants instruit les affaires relevant de la compétence de la cour d’assises des mineurs au sein de laquelle il siège pendant les débats.

 

Mais en 1998 la Cour de cassation a rendu des décisions qui nous semblent témoigner des difficultés d’appréciation de l’impartialité objective concrète. L’Assemblée plénière de la cour de cassation a décidé le 6 novembre 1998 dans l’affaire « Sté Bord Na Mona c. SA Norsk Hydro Azote e.a. » que l’impartialité objective de l’article 6-1 CEDH implique que lorsqu’un magistrat a statué en référé sur une demande tenant à l’attribution d’une provision en raison du caractère non sérieusement contestable d’une obligation, il ne peut ensuite statuer sur le fond du litige afférent à cette obligation en tant que membre de la juridiction de jugement de la cour d’appel parce qu’en effet il a déjà préjugé du fond du litige lors de la procédure du référé-provision. En conséquence et en application de sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation casse la décision rendue par la Cour d’appel [62].[63].

 

 

De plus, l’impartialité objective est entendue comme le jugement qui, outre la lettre des hypothèses de récusation des juges prévues par les textes, exige en application du principe prévu par l’article 6-1 CEDH la prise en compte de circonstances imprévues par lesdites dispositions françaises en tenant compte des circonstances particulières à chaque espèce et susceptibles de violer le principe d’impartialité. Il en est aussi ainsi lorsque l’article 6 est écarté au bénéfice de dispositions internes n’offrant pas de garantie d’impartialité objective. En conséquence, la  1re chambre civile de la Cour de cassation casse ,dans un arrêt du 31 mars 1998 « époux Laurent c/ Procureur général  près de la Cour d’appel de Rennes », pour violation, par défaut d’application des articles 356 du nouveau code de procédure civile (NCPC) et de l’art. 6 CEDH, l’arrêt d’une cour d’appel qui,   « saisie à la fois d’une demande de récusation et d’une demande de renvoi pour suspicion légitime à l’encontre des membres du conseil de l’Ordre d’un barreau, réuni en formation disciplinaire, parce que la cour d’appel ne pouvait pas limiter l’examen des motifs développés au soutien de ces demandes au regard des dispositions de l’article 341 du NCPC qui ne visent que les causes de récusation, mais se devait de rechercher s’il existait, compte tenu des circonstances, une cause permettant objectivement de douter de l'impartialité du conseil de l'ordre.  En statuant comme elle l’a fait, la cour a violé, par défaut d’application, les articles 356 et ss du NPC ainsi que l’article 6 CEDH » [64] [65].

 

La 1re chambre civile de la Cour de cassation a confirmé cette approche de l’impartialité objective dans un arrêt du  28 avril 1988 « Miguel G… c. Michel Capponi  et autres »  [66]. La Cour rejette le premier moyen soulevé en estimant  «qu’il ne peut être reproché à une cour d’appel d’avoir rejeté, après avoir statué en chambre du conseil, la demande de récusation présentée par un avocat faisant l’objet d’une procédure disciplinaire contre deux membres du Conseil de l’Ordre, dès lors que si la publicité des débats est un principe général du droit, la loi peut en limiter la portée en exigeant ou en permettant que ces débats aient lieu en Chambre du Conseil. Tel est le cas en l’espèce de l’article 364 NCPC disposant qu’en cas de récusation contre plusieurs juges de la juridiction saisie, il doit être procédé comme en matière de renvoi pour suspicion légitime, c’est-à-dire que la cour statue en Chambre du Conseil ».

 Si, en vertu de l’art. 6-1 CEDH, la publicité de l’audience est le principe, l’art. 6-1 CEDH prévoit l’éventualité de la non-publicité, « lorsque dans des circonstances particulières, la publicité serait de nature à nuire aux intérêts de la justice ». Il est nécessaire, en application de l’article 364 NCPC, que la section disciplinaire d’un conseil de l’ordre saisie d’une demande de récusation à l’encontre  de deux de ses membres statue en chambre du Conseil et à huis clos, la sérénité des débats de cette instance disciplinaire l’exigeant dans une telle situation. Par contre, lorsqu’il s’agit  d’une instance disciplinaire ordinale ordinaire, la publicité des débats est la règle, en application de l’art. 6-1 CEDH, depuis l’arrêt Maubleu rendu par le CE le14 février 1996 [67].

 

Dans l’arrêt du 28 avril 1998, l’avocat avait fondé ses demande de récusation contre deux de ses juges, à titre principal sur les dispositions de l’art. 6 CEDH et, à titre subsidiaire sur celles de l’article 341 NCPC.  La Cour de cassation  considère  qu’il y a violation de l’art. 6-1 par la cour d’appel qui refuse d’appliquer l’art. 6 CEDH et écarte l’examen de la requête sur ce fondement en considérant que le droit français assure le respect de l’impartialité des juridictions, alors que, selon la Cour de cassation, « l’art. 341 NCPC, prévoyant huit cas de récusation, n’épuise pas nécessairement cette exigence  d’impartialité » [68]. L’impartialité objective concrète exige donc des magistrats, une application praeter legem des cas de récusation  afin de satisfaire aux exigences de l’article 6-1 CEDH.

     Cependant, la Cour de cassation refuse toujours en 1998, l’application de l’article 6-1 CEDH lorsque ce moyen est soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation et confirme sa jurisprudence antérieure [69]. L’arrêt du 3 février 1998 « T. c. Procureur de la République  près le TGI de Bordeaux et autre » confirme cette jurisprudence constante dans un procès prononçant la destitution d’un notaire à la suite de poursuites disciplinaires, a été déclaré T. coupable de s’être rendu complice d’escroqueries commises par Alain Y…, en donnant des renseignements fallacieux à un confrère et en adressant aux victimes une attestation certifiant comme exactes des données qu’il savait fausses, a été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement.  De plus, le notaire destitué  est condamné à une interdiction temporaire d’exercice d'une durée de dix ans. En outre, la Cour de cassation confirme son application restrictive de l’article 6-1 CEDH en matière disciplinaire à l’occasion de sanctions prononcées contre des avocats et des notaires lorsqu’ils n’ont pas invoqué l’article 6-1 devant le juge de première instance et n’ont soulevé ce moyen que devant la Cour de cassation. Les débats devant la cour d’appel se sont tenus en chambre du conseil, à la demande du requérant, qui invoque la violation de l’art. 6 CEDH devant la Cour de Cassation. La Cour rejette ce moyen en estimant que « nonobstant les dispositions des art. 18 et 37 du décret du 28 déc. 1973 relatives au notariat, qui ne sont pas impératives, si l’art. 6-1 CEDH, tel qu’il est interprété par la Cour EDH, donne à la personne poursuivie disciplinairement devant la cour d’appel, le droit de voir sa cause défendue publiquement, et l’arrêt sur cette cause en audience publique, c’est à la condition que ce droit ait été invoqué devant cette juridiction ; le notaire ne justifiant pas avoir demandé à la cour de tenir les débats publiquement et de rendre son arrêt en audience publique, c’est à bon droit que la cour d’appel a statué après débats en chambre du conseil ; que le moyen est donc sans fondement»[70].

Si cet arrêt confirme la jurisprudence antérieure de la Cour qui pose le principe d’une application stricte du double degré de juridiction en rejetant tout nouveau moyen soulevé devant le juge de cassation alors qu’il ne l’a pas été devant le juge de première instance [71], ce principe souffre quelques exceptions en vertu des articles 564 et s. du NCPC. L’article 564 du NCPC pose le même principe que celui qui gouverne la jurisprudence du CE [72] [73]. Ces tempéraments prévus par le NCPC amènent à soulever la question d’un moyen de publicité de l’audience en application de l’article 6-1 CEDH qui serait soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation. L’article 6-1 CEDH appartient à l’ordre public humanitaire européen et doit permettre au requérant d’être à même de défendre le plus utilement possible sa cause. Si la jurisprudence de la Cour EDH autorise les États parties à la CEDH à limiter le droit au juge de cassation encore faut-il que ces dispositions internes ne portent pas atteinte à la substance même du droit à l’accès au tribunal impartial et indépendant. Le droit à la publicité des audiences, droit garanti sauf exceptions précises, est un élément substantiel du droit à une justice impartiale statuant sur des litiges graves susceptibles d’avoir des incidences sur la situation de la personne. Même si les faits amenant une cour d’appel à prononcer une destitution d’un officier ministériel sont graves, ce dernier doit être en mesure de faire valoir ses droits de  la défense, dans un procès qui doit être exemplaire dans son déroulement et dans le respect de  l’impartialité du tribunal mais aussi dans le respect des droits de la défense. Le fait que la cour d’appel ait statué en chambre du conseil, même si un tel procès est susceptible de respecter les exigences de l’art. 6 CEDH, au motif que le notaire n’a pas invoqué l’art. 6-1 CEDH afin de bénéficier de la publicité des débats, nous semble devoir être corrigé devant la Cour de cassation en admettant la publicité de l’audience.

 Cette interprétation restrictive de l’art. 6-1 nous semble devoir être abandonnée. L’article 6-1 CEDH doit avoir, selon nous, dans l’ordre juridique français, le rang d’un principe d’ordre public devant être soulevé par les magistrats quand les conseils ne le font pas mais aussi être accepté comme un moyen soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État.

En outre, trop souvent, les avocats oublient en première instance d’invoquer les dispositions de l’article 6-1 CEDH parce qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment les implications de la CEDH dans l’ordre juridique interne français. Cette carence des avocats ne doit pas avoir comme conséquence de priver le justiciable du bénéfice d’un principe aussi fondamental dans l’exercice d’une bonne justice au nom du principe d’équité.

 

b) Art. 6-2 CEDH

 

La chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé le 1er décembre 1998 dans l’arrêt « Oury c. Agent judiciaire du Trésor », un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris saisie en appel d’une décision de la Commission des opérations de Bourse pour violation de l’article 6-2 CEDH [74]. La Cour estime que la COB ne respecte pas le principe de la présomption d’innocence dans ses méthodes d’investigations. La Cour casse cet arrêt de la cour d’appel refusant d’annuler une décision de la COB dont le président avait estimé publiquement que le demandeur se livrait à des acrobaties financières ce qui remettait en cause l’exactitude des informations diffusées par cette société. La Cour estime qu’un tel comportement est incompatible avec l’article 6-2 CEDH interdisant que le président de la COB déclare une personne  coupable d’une infraction avant que les juges compétents ne se soient prononcés [75].

 

c) Art. 6-3 CEDH

 

La violation grave du principe d’égalité des armes se manifeste notamment dans l’irrespect des art. 197 et 198 C.P.P. disposant qu’en matière de détention provisoire, la date d’audience de la chambre d’accusation doit être notifiée par lettre recommandée expédiée au moins 48 heures à l’avance aux parties et à leurs avocats qui ont la faculté de déposer des mémoires et de présenter des observations à l’audience. Ces délais sont d’ordre public et leur irrespect entraîne la cassation d’une ordonnance de prolongation de détention provisoire ; le retard ayant effectivement empêché les avocats de d’être présentes à l’audience et de présenter leur mémoire[76].

De plus, la Cour de cassation s’est expressément fondée, dans l’arrêt Classen rendu le 28 mars 1998, sur l’article 6-3d CEDH garantissant à l’accusé le droit de convocation et d’audition par le tribunal des témoins à charge et à décharge dans les mêmes conditions pour censurer une décision rendue par un tribunal correctionnel et confirmée par la cour d’appel de Metz. Cette dernière rejetait la demande d’audition de témoins à décharge présentée par le prévenu qui demandait l’audition d’un témoin prouvant sa présence à l’étranger au moment du déclenchement de l’infraction qu’on lui reprochait. La Cour rappelle que sauf impossibilité dont il leur appartient de préciser les causes, les juges d’appel sont tenus, lorsqu’ils en sont légalement requis, d’ordonner l’audition contradictoire desdits témoins  [77].

 

3) le droit au respect de la vie privée et de la vie familiale de l’article 8 CEDH

 

Le C.E. maintient sa jurisprudence plus répressive adoptée depuis 1996 quant à la protection de la vie familiale des étrangers coupables d’infractions touchant aux mœurs. C’est ainsi que le C.E. a jugé le 12 juin 1998, dans l’arrêt « Kernou », que l’exécution de l’arrêté d’expulsion d’un étranger coupable de proxénétisme et de coups et blessures volontaires avec arme, même si le préfet avait adopté cet arrêté 10 ans auparavant et bien que l’intéressé soit père de deux enfants français, ne porte pas une atteinte disproportionnée à l’article 8 CEDH [78]. 

 

Le C.E. a modifié dans l’arrêt « Cherchour » du 2 février 1998 sa jurisprudence antérieure relative à l’octroi d’un titre de séjour à un étranger entré irrégulièrement sur le territoire français et à l’encontre duquel le préfet a pris un arrêté d’expulsion alors que son épouse ou sa concubine attend un enfant de lui. Le C.E. décide que le requérant ayant épousé en décembre 1996 une ressortissante française avec laquelle il vivait depuis 9 mois et qui attend un enfant dont il est le père et que, compte tenu des conditions générales de sécurité régnant en Algérie, sa femme et son enfant à naître ne pourront le rejoindre sans compromettre leur sécurité, sont des circonstances à prendre à compte dans l’appréciation  de la légalité de l’arrêté d’expulsion. Le C.E. juge que, dans ces conditions,  la mesure de reconduite prise à l’encontre de M. Cherchour porte une atteinte disproportionnée à son droit  au respect de mener une vie familiale normale eu égard aux buts en vue desquels cette mesure a été décidée et, en conséquence, annule la décision du  T.A. de Paris  rejetant le recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté de reconduite [79].  L’arrêt Cherchour modifie partiellement la jurisprudence antérieure du CE de 1996 n’offrant pas la protection de l’article 8 CEDH à un étranger auquel est notifié un arrêté de reconduite à la frontière alors qu’il vit en concubinage avec une ressortissante française dont il attend un enfant et dont il a déjà reconnu la paternité [80]. L’arrêt Cherchour constitue un progrès à un double titre puisqu’il étend le bénéfice de l’article 8 CEDH au père d’un enfant à naître (nasciturus) contrairement à la jurisprudence antérieure, étant entendu que les bénéficiaires en sont le requérant et, par ricochet, l’épouse et le nasciturus   [81]. Mais il étend le bénéfice de l’arrêt Kechemir  rendu le 1er décembre 1997  [82] à l’épouse et au nasciturus de l’étranger susceptible d’être expulsé. L’arrêt Cherchour est des plus  logiques puisqu’il se trouve  dans le champ de protection des articles 3 et 8 CEDH.

 

En outre, le C.E. a jugé plusieurs fois en 1998 de la légalité des refus de visa d’entrée en France à des étrangers adoptés par des ressortissants français au regard de l’article 8 CEDH.

 Le Conseil a fondé, le 18 février 1998, son arrêt sur l’article 15 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relatif aux conditions de délivrance de plein droit de carte de résident, sauf si leur présence constitue une menace pour l’ordre public, à certaines catégories d’étrangers résidant régulièrement en France dont l’alinéa 2 stipule que le refus de titre de séjour ne peut être opposé à  un enfant étranger adopté par un Français s’il est âgé de moins de 21 ans. Le C.E. a rendu en 1998 deux arrêts confirmant la légalité du refus de délivrance de visa à des étrangers adoptés par des Français par la procédure de l’adoption simple, en rejetant toute atteinte disproportionnée au droit de mener une vie familiale normale lorsque les adoptés étaient âgés de plus de 21 ans [83]. Le C.E. confirme sa jurisprudence dans un arrêt du 20 mai 1998 « Mlle Oufkir-Gonthier et Gonthier » concernant un refus de visa long séjour à une ressortissante marocaine, âgée de 28 ans, adoptée par un citoyen français en raison de l’absence de ressources suffisantes de l’intéressée mais aussi de la faiblesse des ressources de l’adoptant, retraité, qui est aussi père adoptif du frère de la requérante alors qu’il subvient aux besoins de ce dernier [84]. En revanche, le C.E. censure, le 8 juin 1998 dans l’arrêt « Chea », le refus de visa opposé à une jeune ressortissante chinoise âgée de 16 ans, adoptée par le biais de l’adoption simple par un citoyen français. Dès lors,  le C.E. estime qu’en vertu de l’article 365 du Code civil, même en cas d’adoption simple, l’adoptant est seul investi à l’égard de l’adopté de tous les droits d’autorité parentale, dans les mêmes conditions qu’à l’égard de l’enfant légitime. Il suit de là que le refus de visa opposé à une mineure résidant en Chine alors que son père adoptif vit en France, porte lui-même une atteinte effective au respect dû à la vie familiale tant de l’enfant que de son père protégé par l’article 8 CEDH et qu’il doit être annulé [85].

 

De surcroît, la lutte contre les infractions et la prévention de l’ordre public sont des buts légitimes visés par l’article 8-2 CEDH autorisant une restriction du droit à mener une vie familiale normale. L’étranger condamné à quatre ans et neuf mois de prison pour une série d’infractions de gravité croissante (vol simple puis  vol en réunion avec violence et coups et blessures volontaires), peut se voir expulser à l’issue de sa détention par une décision du ministère de l’intérieur estimant que la gravité des faits et leur caractère répétitif signifient que l’expulsion de l’intéressé constituait une nécessité impérieuse pour la sécurité publique. C’est ainsi que le C.E. a jugé le 29 juillet 1998 dans l’arrêt « Nafouti » qu’une telle expulsion n’est pas une atteinte disproportionnée à l’article 8 CEDH alors que l’intéressé entré en France avec sa famille en 1964 alors qu’il était âgé de 7 ans, vit maritalement avec une ressortissante algérienne née en France et est père d’un enfant de nationalité française. L’arrêt du C.E. est conforme à sa jurisprudence constante, la prévention de l’ordre public l’emporte sur l’article 8 CEDH dès lors que la gravité des actes démontre une dangerosité certaine de l’individu même si ses attaches affectives et familiales avec la France sont fortes [86] [87].

Cependant, le droit à mener une vie familiale normale n’entraîne pas obligation pour la France de délivrer un visa de séjour à une étrangère désireuse de se rendre en France pour y vivre avec son conjoint français lorsque l’épouse étrangère a déjà fait une tentative de fraude à la loi en contractant antérieurement un mariage blanc avec un ressortissant français annulé par le juge civil en 1995. Même si le remariage n’est frappé d’aucune tentative de fraude, le C.E. a jugé dans l’arrêt « Dame Beekhorry « du 29 juillet 1998, que le refus de visa opposé par le ministre  ne viole pas l’art. 8 CEDH, le CE estimant que l’État a un droit à limiter les droits tirés de l’article 8 CEDH dans un but de « prévention des infractions pénales» prévu par l’art. 8-2 CEDH [88]. En outre, cette volonté de prévention de l’ordre et de la sécurité publics a pour conséquence que le CE juge le 29 août 1998, dans l’arrêt « Ministre de l’intérieur c. Chiabiani» que l’expulsion d’un étranger auquel il est reproché d’être l’homme de confiance des responsable d’un mouvement prônant le recours à la violence et au terrorisme et de participer à des collectes de fonds et à des distributions de publications favorables aux islamistes. Dès lors, l’expulsion en urgence absolue ne viole pas l’art. 8 CEDH [89].

La jurisprudence française en matière de mesures d’éloignement du territoire d’étrangers, à la suite de condamnations pénales respecte l’article 8 CEDH. Cet éloignement du territoire français, en raison d’infractions pénales violant la législation française en matière de trafics de stupéfiant ou de condamnations pour viol, même en présence d’attaches affectives effectives avec la France est conforme à la jurisprudence de la Cour EDH. Cette dernière a confirmé le 8 décembre 1998 dans l’arrêt Benrachid c/ la France le bien-fondé de ces expulsions ou de ces interdictions de séjour eu égard à l’article 8 [90].

Mais un acte de gouvernement peut être opposable à l’article 8 CEDH. Le C.E. a confirmé dans son arrêt du 16 novembre 1998 « Lombo » que la décision du Ministre des affaires étrangères de janvier 1994 de déclarer non acceptable [91] en France un membre d’une mission diplomatique à l’ambassade de la République Centrafricaine à Paris qui avait été agréé en 1990, se rattache aux rapports de l’État français avec un État étranger. Cette décision est un acte de gouvernement. Il résulte de cette décision ministérielle que le retrait du titre de séjour régulier du demandeur et de sa famille implique leur expulsion dans le délai d’un mois. Cette décision ne porte pas une atteinte excessive à l’article 8, l’unité de la vie familiale étant préservée. Cet arrêt a le mérite de la clarté. L’article 8 CEDH cède le pas dès que les relations diplomatiques sont en jeu [92].  Il va de soi que l’art. 8 ne saurait priver les gouvernements de leur droit de déclarer non acceptables ou persona non grata des membres des missions  diplomatiques.

  Enfin, l’article 8 CEDH garantit aussi le respect de la vie privée, et notamment le secret de la correspondance et des communications téléphoniques. La France a été condamnée pour violation de l’art. 8 CEDH par la CEDH le 24 août 1998 dans l’affaire « Lambert c/ France », en raison de l’interprétation extensive donnée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 27 septembre 1993, aux articles 100 et suivants du code de procédure pénale adoptés en vertu de la loi du 10 juillet 1991, instituant de manière légale les écoutes téléphoniques ordonnées par un juge d’instruction. Cette interprétation ne distingue pas entre les personnes écoutées titulaires de la ligne surveillée et les autres. La CEDH  estime que cette jurisprudence viole l’art. 8 CEDH et le mécanisme protecteur prévu par la loi du 10 juillet 1991 [93].

 4) la liberté d’opinion et de convictions de l’article 9 CEDH

 

Un requérant est poursuivi pour détention, transport et usage d’herbes de cannabis classées comme stupéfiant. Il excipe devant la chambre criminelle de la Cour de cassation de l’article 9-1 CEDH en prétendant que la consommation de cannabis serait protégée par le droit de manifester ses convictions. Si la Cour EDH reconnaît le droit d’avoir et de manifester ses convictions  encore faut-il qu’elles soient sérieuses et étayées. Mais la chambre criminelle de la Cour de cassation  confirme le 5 février 1998, l’arrêt rendu par la cour d’appel rejetant toute atteinte à la liberté de conviction résultant de l’interdiction de consommer du cannabis en application de l’article R. 5181 du Code de la santé publique. Elle estime ici que cette interdiction de l’usage du cannabis et de ses dérivés se justifie, eu égard à l’article 9-2 CEDH, en raison des graves dangers pour la santé et la sécurité publiques auxquels expose la consommation de ce produit. De plus, les prétentions du requérant au bénéfice de l’article 9 CEDH  ne sauraient relever d’une liberté de conviction digne de protection. [94].

 

La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette, le 21 octobre 1998 dans l’arrêt  « P .»,  un pourvoi de pharmaciens poursuivis pour refus de vente [95] de médicaments contraceptifs faisant l’objet de prescriptions médicales. Les deux pharmaciens avaient refusé de mettre en vente dans leur officine, en raison de leurs convictions personnelles, des médicaments contraceptifs (en l’occurrence, la pilule) faisant l’objet de prescriptions médicales. La Cour de cassation estime que la délivrance de ces médicaments est, en application de l’article 3 de la loi Neuwirth du 28 décembre 1967, exclusivement faite en pharmacie sur la présentation d’une ordonnance prescrite par un médecin. Les pharmaciens se trouvent dans une situation de monopole de délivrance instituée dans un but de santé publique. Il résulte de ce monopole une obligation de délivrance quelles que soient les convictions personnelles des pharmaciens parce que ces médicaments contraceptifs doivent être tenus à la disposition du public de la même manière que les autres médicaments soumis à prescription médicale. La Cour de cassation et l’article L. 122-1 du code de la consommation acceptent  le refus de vente en cas de motif légitime. Si l’indisponibilité matérielle du produit justifie le refus de vente, la Cour rejette l’indisponibilité morale du produit c’est-à-dire l’indisponibilité du produit dans l’officine reposant sur des «motifs éthiques et médicaux » personnels au pharmacien et qui l’amènent à refuser de délivrer de tels médicaments. La Cour écarte toute violation de l’art. 9 CEDH. En effet, l’arrêt de la Cour correspond aux restrictions prévues dans à l’art. 9-2 CEDH puisque le refus de vente est autorisé par l’art. L. 122-1 du C. de la consommation dans des circonstances précises. L’obligation de délivrance l’emporte sur le respect des convictions personnelles, le monopole de délivrance de tels médicaments contraceptifs étant prévu par la loi dans un souci de protection de la santé publique. Il y a donc un intérêt public prépondérant [96].  L’ingérence publique est proportionnée et nécessaire dans une société démocratique à la protection de la santé publique et ne viole pas l’art. 9 CEDH.

 

5) Liberté de la presse et liberté de la publicité commerciale

 

L’article 10 CEDH protège la liberté de la presse mais aussi, d’une manière moindre, la publicité commerciale qui peut être restreinte par des intérêts publics et les droits des tiers.

Le C.E. rejette, dans un arrêt du 12 juin 1998, « Association des groupements de pharmaciens d’officine »,  ce recours en relevant que l’article 5053-53, introduit dans le code de santé publique par le décret du 4 juin 1996, fixe les conditions dans lesquelles est autorisée la publicité en faveur des officines de pharmacie. En effet, l’article 5053-53 du code de santé publique autorise la publication dans la presse écrite de communiqués et d’annonces mentionnant l’adresse de l’officine, le nom de son propriétaire. Le C.E. relève aussi que la mise à disposition dans l’officine de brochures d’éducation sanitaire comportant le nom et l’adresse du pharmacien ainsi que la diffusion d’objets ou de produits de valeur négligeable permettent aux titulaires d’officine de pharmacie d’informer le public constituant la clientèle potentielle de leur existence et de faire connaître leurs activités. Il en résulte, selon le Conseil, que ces divers moyens d’information du public ont un caractère publicitaire [97]. Cette restriction de toute forme de publicité par les pharmaciens  est conforme à l’art. 10 CEDH dont l’alinéa 2 autorise certaines restrictions de la liberté d’expression, notamment dans un but de protection de la santé publique. Dès lors, Le C.E. rejette le recours pour excès de pouvoir en jugeant qu’eu égard aux impératifs de protection de la santé publique et aux principes déontologiques de la profession de pharmacien, le décret litigieux limitant les formes de publicité autorisées dans les officines de pharmacie n’a pas porté une atteinte excessive à la liberté d’expression ». 

Cet arrêt est à rapprocher de l’arrêt du C.E. rendu le 18 juin 1998 « Société toulousaine de Télévision » en matière d’interdiction de publicité télévisée.  Le décret  du 27 mars 1992 interdit la publicité télévisée concernant le secteur de la distribution, sauf dans les DOM-TOM et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon tandis que l’art. 9 dudit décret prohibe la publicité clandestine. Le C.S.A., après avoir mis deux fois en demeure un opérateur audiovisuel de respecter ses obligations, prononça à son encontre une sanction pécuniaire d’un montant de 100.000 Francs. Le C.E. rejeta le recours de la société requérante en estimant que l’article 18 du décret du 27 mars 1992 en prohibant l’accès à la publicité dans le secteur de la distribution, pour assurer à la presse écrite les ressources nécessaires à son équilibre et à son indépendance, n’a pas violé l’article 10 CEDH.

L’art. 10-1 CEDH prévoit de soumettre les entreprises de télévision à un régime d’autorisation. De plus, l’exigence de proportionnalité des sanctions infligées par le C.S.A., sous le contrôle du C.E., est une garantie de la liberté audiovisuelle [98]. Le pluralisme de l’information et la liberté de la presse sont des éléments structurels d’une société démocratique proclamés par la jurisprudence de la Cour EDH [99]. C’est aux États parties qu’incombent la compétence de veiller au pluralisme des médias en limitant leur concentration mais aussi en adoptant les mesures nécessaires, dans une société démocratique qui assurent le pluralisme des divers médias et de l’information, notamment par une interdiction de publicité télévisée dans certaines circonstances.

 

Si la publicité commerciale est une liberté moins protégée que la liberté de la presse, elle est très encadrée pour les avocats. La restriction à la liberté de la presse que constitue l’interdiction du démarchage en matière juridique est une mesure nécessaire pour garantir l’autorité et l’impartialité de l’autorité judiciaire prévue par l’article 10-2 CEDH.  Une telle restriction est également prévue par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé le 28 octobre 1998 que cette interdiction n’est pas contraire à l’article 10 CEDH [100]. Cette restriction est prévue par la loi et constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique.  Le démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique, définis à l’article 1er du décret du 25 août 1972, est pénalement sanctionné par l’article 6-4 de la loi du 31 décembre 1971 organisant la profession d’avocat. La Cour a jugé que caractérise le démarchage prohibé le fait d’apposer dans des lieux publics des affichettes sous le titre « assistance juridique » suivi d’un numéro de téléphone personnel ;  proposant la rédaction d’actes sous seing privé et des consultations, en mentionnant « nous sommes titulaires du CAPA ».

L’art. 10-2 CEDH prévoit l’hypothèse de la restriction de la liberté d’expression et de la presse lorsqu’il s’agit d’une mesure nécessaire pour garantir l’autorité et l’impartialité de l’autorité judiciaire. Une telle restriction est également prévue par la loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Cette limitation existe aussi d’autres États parties à la CEDH. La Cour EDH a jugé, le 24 février 1994, dans l’arrêt « Casado Coca c/ Espagne » que « considérant que la réglementation de la publicité pour la profession d’avocat variant d’un État à l’autre en fonction des traditions culturelles, il appartient aux autorités ordinales, aux cours et aux tribunaux nationaux de trouver le juste équilibre pour protéger les divers intérêts en jeu » [101].  La Cour ajoute qu’au nombre de ces intérêts doivent être retenus « les impératifs d’une bonne administration de la justice, la dignité de la profession, le droit de toute personne à recevoir une information sur l’assistance juridique et la possibilité pour un avocat de faire de la publicité pour son cabinet ».

Cependant, la publicité est licite pour un avocat, sous respect des dispositions de l’article 161 du décret du 27 novembre 1991. Ce décret stipule que « la publicité est permise à l’avocat dans la mesure où elle procure à l’avocat une nécessaire information. Les moyens auxquels il est recouru à cet effet sont mis en œuvre avec discrétion, de façon à ne pas porter atteinte à la dignité de la profession et, communiqués au conseil de l’Ordre ».

 

Mais cette publicité des avocats n’est pas exempte de dangers. Comme le relève Raymond Martin dans sa note, l’introduction de la publicité est grosse du danger de  faire des avocats, non plus des auxiliaires de justice, mais des « marchands de droits » [102]

En outre, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé le 20 octobre 1998, dans l’arrêt Thérond, que la publication  dans un hebdomadaire de la photo de la dépouille mortelle d’un ancien président de la République, prise sur son lit de mort, à l’insu de la famille ou des proches, par un photographe non-autorisé est prohibée et entre nécessairement dans le champ d’application des art . 226-1, 226-2 et 226-6 N.C.P. visant les atteintes à la vie privée d’autrui [103]. Ces dispositions entrent dans les restrictions prévues par l’article 10-2 CEDH  nécessaires  à la protection des droits d’autrui et de leur droit au respect de la vie privée  protégé par également l’article 9 C. civil.  Cet arrêt confirme partiellement l’arrêt de la chambre civile de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 16 juillet 1997 « SA Plon c. Consorts Mitterrand ». Ce dernier arrêt confirmait l’interdiction, par la procédure des référés, de la diffusion du livre « Le Grand secret » relatif à la santé du Président Mitterrand afin de protéger, en vertu de l’article 10-2 CEDH, les droits d’autrui, au demeurant la vie privée du président décédé mais aussi celle des membres de sa famille [104].

L’arrêt « Thérond » est d’une facture classique, quant aux restrictions nécessaires à la liberté de la presse, et affirme que la protection, offerte par les art. 226-1 NCP et suivants et l’art. 10-2 CEDH, aux héritiers d’un ancien président de la République, leur permet de s’opposer à toute diffusion d’une photo violant l’intimité de la vie privée et familiale. Cette interdiction de porter atteinte à la vie privée est dès lors légitime et proportionnelle.

 

6) La liberté syndicale et l’article 11 CEDH

 

Deux arrêts rendus par la Cour de cassation en 1998 permettent de mesurer  l’impact de la CEDH en matière de droit des associations et des syndicats. Les deux arrêts rendus le 10 avril 1998 par la chambre mixte de la cour de cassation posent les  limites de créations de syndicats professionnels et, notamment, encadrent leurs relations avec les partis politiques. Ces deux arrêts se prononcent sur la licéité de la création du « Syndicat Le Front national de la Police » remise en cause par le Syndicat des policiers en tenue (SNPT) et du « Front national pénitentiaire » (FNP),  syndicats proches du FN. La création du FNP était de même contestée par l’État.

 

L’arrêt du 10 avril 1998 Syndicat Le Front national de la Police (FNP) c/ Syndicat national des policiers en tenue  e.a.  pose clairement l’illicéité de la création d’un syndicat professionnel inféodé  à un parti politique et dont les statuts prônent des idées incompatibles avec les lois de la République et une discrimination interdite par l’ordre public français. La chambre mixte de la cour de cassation  marque en premier lieu les principes fondamentaux de la liberté syndicale en énonçant dans un considérant de principe que  « si, en vertu du principe de la liberté syndicale consacré par l’art. 6 du Préambule de la Constitution du 27 oct. 1946, l’article 11 CEDH et l’article 2 de la convention n°87 de l’OIT [105], les syndicats peuvent se constituer librement, ce principe ne fait pas obstacle à ce qu’indépendamment du droit pour le procureur de la République de demander la dissolution dans les conditions prévues par l’article 481-1 du même code en cas d’infractions commises par ses dirigeants ou administrateurs, toute personne justifiant d’un intérêt à agir soit recevable à contester la qualité de syndicat professionnel d’un groupement dont l’objet ne satisfait pas aux exigences des art. L. 411-1 et 411-2 du code du travail » [106]  [107] [108].  L’art. 411-1 du code du travail dispose que les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par leurs statuts.

    La Cour juge qu’en application des articles susvisés, un syndicat professionnel ne peut pas être fondé sur une cause ou en vue d’un objet illicites ; il en résulte qu’il ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques, ni contrevenir aux principes de non-discrimination contenus dans la constitution, aux textes à valeur constitutionnelle et aux engagements internationaux auxquels la France est partie. La Cour relève que le FNP n’est que l’instrument d’un parti politique qui est à l’origine de sa création et dont il sert exclusivement les intérêts et les objectifs en prônant des distinctions fondées sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique.

     L’arrêt « L’État français c/ Front national pénitentiaire », rendu aussi le 10 avril 1998, par la Cour de cassation élargit aux autres syndicats de l’administration pénitentiaire et à l’employeur, en l’occurrence l’État français, un intérêt à agir pour demander l’interdiction d’un syndicat professionnel créé en violation des articles L. 481-1 du code du travail et L. 411- C. travail. [109]. En effet, la violation des principes régissant l’exercice de la liberté syndicale est telle qu’il en résulte une nullité ab initio de la constitution desdits syndicats.

La question de la liberté de création  d’un syndicat  est encadrée par le droit du travail mais aussi par la relation interactive entre la loi de 1901  relative aux associations et la liberté syndicale qui implique le respect du principe de spécialité tant des associations que des syndicats devant limiter leur action aux buts visés par leurs statuts dans le respect de l’indépendance de ces groupements associatifs et syndicaux à l’égard des partis politiques. Ce principe est aussi mentionné explicitement dans l’art. L. 411-2l du code du travail. Il en résulte, en l’espèce, que les principes de spécialité et d’indépendance n’autorisent pas, un syndicat à s’assigner des objectifs directement et indirectement politiques  [110].

L’article 11 CEDH autorise la création libre de syndicats professionnels mais l’article 11-2 CEDH admet que des restrictions légitimes doivent être imposées à l’exercice de ce droit pour les membres des forces armées, de la police ou l’administration de l’État. Cette prohibition existe en France pour les militaires, les préfets et les magistrats, ce même, si les préfets et magistrats sont regroupés dans des associations professionnelles. Mais, on ne peut admettre que des fonctionnaires chargés de l’exercice d’une fonction régalienne, en l’occurrence, la police nationale et l’administration pénitentiaire, soient inféodés à un parti par le biais syndical alors qu’une stricte obligation de réserve politique leur incombe. Il résulte du devoir d’impartialité auquel est tenu tout fonctionnaire dans l’exercice des missions qui lui sont confiées, une stricte obligation de non-discrimination. Implicitement, la Cour soulève l’article 14 CEDH interdisant toute discrimination et conclut logiquement à l’interdiction de syndicats partisans d’une discrimination prohibée.

 

7) - le droit de propriété et l’article 1 du Protocole additionnel  n°1  CEDH

 

Le CE a été amené à statuer sur la conventionnalité de l’art. 160-5 du code de l’urbanisme relatif aux servitudes d’urbanisme [111]. Il  rejette dans l’arrêt Bitouzet du 3 juillet 1998 le recours d’un propriétaire foncier dont les terrains avaient été déclarés inconstructibles après une modification du plan d’occupation des sols. Il demande la condamnation de la commune à lui verser une somme de 2 millions de Francs en réparation du préjudice que lui cause le déclassement de ses terrains dont la valeur vénale a ainsi baissé [112]. De plus, le requérant fonde son recours sur l’article 1-1 du P.A  n°1 de 1952 protégeant le droit de propriété mais autorisant l’expropriation pour cause d’utilité publique moyennant  indemnité. Cependant, l’article 1-2 dudit P.A. dispose que les dispositions susmentionnées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États  de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. Le CE estime que l’établissement des servitudes visant les biens du requérant ont été légalement établies dans le cadre d’une politique d’urbanisme d’intérêt général et qu’elles ne font pas peser sur le requérant une charge spéciale et exorbitante hors de proportion avec l’intérêt général poursuivi équivalente aux situations prévues par l’art. 160-5 du code de l’urbanisme ouvrant par exception droit à indemnisation. Il en résulte que ladite disposition est compatible avec l’art. 1 du P.A. n°1 et qu’elle entre dans la marge d’appréciation reconnue aux États pour réglementer le droit de propriété et son usage. De surcroît, l’arrêt Bitouzet s’inscrit dans les principes posés par la Cour EDH dans son arrêt du 23 sept. 1982 Sporrong et Lönnroth  c. Suède dans lequel la Cour exige que la mesure restreignant le droit de propriété soit strictement proportionnée aux buts poursuivis dans le respect de l’intérêt général et la protection des droits de l’individu [113].

 

8) l’égalité de droits entre époux de l’article 5 en vertu du Protocole additionnel n°7 du 22 novembre 1984   

 

La 1re chambre civile de la Cour de cassation censure, dans l’arrêt du 24 février 1998, « Consorts Vialaron c/ Guillermin »,  un arrêt de la cour d’appel de Chambéry appliquant une loi suisse depuis abrogée, à la liquidation et au partage du patrimoine d’un couple franco-suisse lors de son divorce. Cette loi  autorisait la répartition du « bénéfice de l’union conjugale » à concurrence de deux tiers pour le mari et d’un tiers pour l’épouse. La Cour censure l’arrêt parce que ces dispositions  imposaient une discrimination à l’encontre de la seule épouse. La Cour estime que la cour d’appel a violé l’article 5 du P.A. n°7 à la CEDH en appliquant de telles dispositions contraires à l’égalité de droits des époux dans le mariage et lors de sa dissolution. En effet, la Cour, dans un considérant de principe lapidaire, pose le principe que cette disposition conventionnelle  « s’impose directement au juge français à qui il appartenait de rétablir l’égalité des droits entre les époux et non d’excuser cette inégalité par la possibilité prévue par la loi pour les époux de déroger au partage égal ». Désormais, le droit international privé trouve, dans son application, une restriction nouvelle dans l’obligation de respecter tant ledit article que l’ordre public interne mais aussi, implicitement, l’ordre public international que constitue la CEDH [114].  Cet arrêt marque aussi la suprématie du droit conventionnel sur le droit international privé.  Il s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui rejette, depuis l’arrêt de la 1er chambre civile du 1er juin 1984 Mme X… c/ Y. [115]; arrêt confirmé par l’arrêt Mustapha Fazouane du 19 décembre 1995, toute effectivité juridique à un acte de répudiation en application de l’art. 5 du P.A. n°7 parce. Une telle répudiation prononcée unilatéralement par le mari au Maroc est contraire, tant à l’ordre public français qu’à l’égalité de droits entre les époux dans le mariage et lors de sa dissolution. Pour la Cour de cassation, l’art. 5 du P.A n°7 exige du juge  français qu’il refuse d’appliquer toute disposition du droit international privé contraire aux dits principes et dispositions et rétablisse l’égalité de droits des époux dans la liquidation du patrimoine [116].

 

Bertrand PETER, Maître de conférences à l’Université d’Artois.

 

 



[1] cf. C.E. 2 février 1998  Salah YAHIA  D. 1998, jurisprudence pp. 343

[2] cf. Cass. crim. 2 décembre 1998 Association X ; Bull. crim n°327 p. 948   pourvoi n°97-84.937.

[3] cf. C. Cass. Crim. 30 avril 1996, Bull. crim. 1996 n°178, p. 510 (irrecevabilité et cassation).

[4] Certains estiment que l’on se trouve en présence de droits dérivés qui sont étant des droits reconnus par la jurisprudence de la Cour EDH alors qu’ils n’étaient pas visés stricto sensu par la Convention  protégeant plus spécialement praeter legem les détenus, les militaires, les mineurs, les internés psychiatriques et les incapables majeurs. A propos des droits dérivés, voir notre chronique 1996.

[5] cf. C. Cass. crim. 13 janvier 1998, de FOURNAS-LABROSSE et autres,  (rejet Paris 11e ch. 4 mars 1996) (pourvoi n°96-81.478 PF/274). cf. Gaz..Pal. 1998.1. chronique de droit criminel (24 au 26 mai 1998 p. 21).

[6] cf. notre chronique 1997.

[7] Le CE rejette le 19 juin 1998, dans l’arrêt Siffres, Bernardini e.a., un recours en annulation d’un jugement d’un T.A. introduits par des maires et  conseillers municipaux déclarés comptables de fait  par une chambre régionale des comptes et que le préfet avait, de ce fait, déclarés inéligibles en application des articles L. 231, L. 236 et ss du Code électoral. Le CE refuse que l’on puisse s’appuyer sur l’art. 6-1 CEDH à l’encontre des décisions d’inégibilité prises par le préfet qui ne sont pas des décisions juridictionnelles mais des décisions administratives adoptées à la suite du jugement d’une CRC ; Rec. CE p. 239.

[8] cf. CE 11 février 1998, Rec. CE p. 51.

[9] cf. Cass. 1re civ ., 3 février 1998 ; T. c. Procureur Rép. près TGI Bordeaux et a. : Juris-Data n°000426 REJET ;  (pourvoi n°Q 96-12.035 c. / C-A Bordeaux, 8 déc. 1995     REJET   (Juris-Data n°000416) JCP 1998, IV, 1676 ; Bull. Civ. 1998 Civ. 1 n°43 p. 28.

[10] cf. C. Cass. crim 4 juin 1998, Bull. crim n°185 p. 506 (4).

[11] cf. J-F Flauss, Actualité de la CEDH ; AJDA 1998 p. 985 (992).

[12] L’article 5-3 CEDH dispose expressément que « toute personne détenue doit aussitôt être traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience ».

[13] cf. Cass. crim. 18 nov. 1998 Pourvoi n°98-86.561 – Procureur. gén. près CA Poitiers) – Cassation de CA Poitiers, 6 oct. 1998  (ch. acc.)    Bull. crim. n°306 ; Dalloz 1999, 97, note P¨radel ; D. 1999,IR p. 12 Procédures 1999, Comm. 72, obs. Buisson.

[14] L’art. 5-1 c CEDH dispose que  nul ne peut être privé de sa liberté sauf s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci.

[15] Cf. C.E. 7 janvier 1998   TRANY req n°163581 ; AJDA 1998 pp. 445-450 concl. Schwartz ; JCP 1998, éd. G., IV, 2183 OBS M-C ROUAULT ; Rec. C.E. p. 1.

[16] Les juridictions du contentieux technique de la sécurité sociale sanctionnent les « fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l’exercice de la profession relevés à l’occasion des soins dispensés aux assurés sociaux. ». Ces juridictions créées par l’art. L. 145 du code de la sécurité sociale sanctionnent les comportements des médecins, chirurugiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens et auxiliaires médicaux. Ces juridictions st distinctes des juridictions disciplinaires des ordres professionnels qui sanctionnent les fautes déontologiques des praticiens.

[17] cf. 11 juillet 1998  G .P. : Q15100   J. n°192 p. 30 (11 juillet 1998)  Gaz. Pal. 1998 2e sem. 1998  Jurisprudence p. 421 n°985.

[18] Cf. CE 17 mars 1993 Mme Gabeur, Rec. CE Tables p. 541 ; CE juill. 1967 Mlle Delaunay, Rec. CE Tab.p. 700.

[19] Ccf. obs M-C Rouault ss CE 29.12.1997, Département de la Saöne – et – Loire ; JCP 1998 éd. G. IV, 1774 CE, section 29 juillet 1994, Dpt de l’Indre : Rec. CE, p. 363, Revue de droit sanitaire et social 1995 p. 322, obs. Ligneau JCP 1994, IV, 2333 ; - comp. Sect. 27 oct. 1978 Debout : Rec. CE, p. 395 ; - ss. 11 juillet 1984 Subrini : Rec. CE, p. 259 ; - sct. 22 nov 1985, Benamour : Rec ., p. 331 ; - 17 mars 1993 Mme Gabeur : Rec. CE Tab., p. 541.

[20] Cf. C.E. 27 mars 1998  C.C.A.S. de la Rochelle ; req. n° 161659 ;  Rec. CE p. 107 ;JCP 1998, éd. G., IV, 2576 obs M-C Rouault.

[21] cf.  C.E. 27.03. 1998 Département de Saône-et-Loire c./ Mme Bonin-Bonin - requête n°145512 ;  cf. JCP 1998, éd. G., IV, 2577 ;. Rec. CE p. 106.

[22] Les conclusions d’Agnès Daussun, que nous citons largement, ont été publiées à la  Revue de droit sanitaire et social 1998 pp. 560-567.

[23] C’est ainsi que la Cour dans les arrêts Salesi c/Italie du 26 février 1993 (Série A n°257 E) et Schuler Zgragen/ Suisse du 24 juin 1993 (Série A n°263) estima que les allocations d’aide sociale (1re espèce) et les rentes d’invalidité (2ème espèce) relevaient de l’article 6 CEDH.

[24] Commission EDH décision de recevabilité de la requête du 9 mars 1998 Guisset c/ France [req. n°33393/96].

[25] cf. FLAUSS,  Actualité de la CEDH d’Octobre 1997 à Octobre 1998  A.J.D.A. déc 1998 p. 987.

[26] cf. CE 4 avril 1998 Aff.  Mme Barthélémy M. Seban, rapp. ; M Lamy c. d. g.  – Req. n°145834-145853 ; Rec.  CE p. 129

[27] L’expression mise en débet est un terme de comptabilité publique désignant la situation d’un comptable public ou d’un particulier qui a été constitué débiteur d’une personne publique par une décision administrative ou juridictionnelle. Une mise en débet peut être prononcée dans les condamnations pour gestion de fait.

[28] cf. Conseil d’Etat, Section 30 octobre 1998 Aff. : M. Lorenzi M. Gounin, rapp. ; Mme Daussun, c. d. g.  – Req. n°159444 ;Rec. CE p. 374.; arrêt publié à l’A.J.D.A. 1998 Décembre, jurisprudence p. 1048 ; et note de Jean-Marc André,  LPA n°11, 15 janvier 1999 p.12.

[29] cf. D. 1999, I.R. p. 12.

[30] - cf. CE 1re et 4e sous-sections  28 septembre 1998 NOTIN (réf. 6551) requête n°159235 ; Gaz. Pal. 1999 I Pan. droit adm. p. 45.

[31] Cour EDH aff. Engels c./ Pays-Bas du 8 juin 1975 (Série A volume 22).

[32] Cf. C. Cass. comm. 28 octobre 1998 Charnallet c./ Directeur Général des impôts pourvoir n°96.20.772 M Cassation partielle ; Gaz. Pal. 1999.2. jurisprudence Panor. C. Cass. p. 263.

[33] cf. Gaz.  Pal. 1997.2 jurisprudence p. 610 comm. de Me  Éliane Robinot-Lafortune - ; JCP 1997, éd G., II, 22935 note F. Sudre.

[34] cf. CE Avis 11 mars 1995, n°164008 ? SARL Auto-Industrie Méric e.a. ; Dr. fiscal 1995, n°1-619, Comm. n°1006 ; Rec. CE 1995 p. 154. Cf. notre chronique 1996 note 52.

[35] cf. CE Avis, 8e et 9e sous-sect. 8 juillet 1998, n°195664, M. Fattell cf. Droit fiscal 1998 Comm. 842, concl. J. Arrighi, de Casanova, c.d.g., Revue de jurisprudence fiscale 1998, RJF 8-9/98.

[36] L’avis Fattell confirme partiellement l’avis Houdmond du 5 avril 1996 dans lequel le CE avait affirmé que le juge de l’impôt doit appliquer le taux de majoration prévu par la loi « sans pouvoir le moduler pour tenir compte de la gravité de la faute commise par le contribuable » ; cf.  Avis Houdmond, CE Sect. 5 avril 1996, n°176611 ; Dr. fiscal 1996, n°25, comm. n°765, concl. J. Arrighi, de Casanova.

[37] cf. CE Assemblée plénière 26 juillet 1978, requête n°65320, Rec. CE p. 320 ; CE 18.01.1989, req. n°65320, Dr. fiscal 1989, n°18, Comm. n°917, concl. Laprade, RJF 3/89, n°346.

a[38] cf. C. cass. crim 10 mars 1998  CHATELAIN   (pourvoi n°97-8O.420 D/1644 cf. G.P. 1998.2. chr. dr. crim. p. 129.

[39] cf. C. Cass. soc. 17 décembre 1998  Madaci contre Caisse primaire d’assurance  maladie de Vienne e.a. , requête n°97-15.389 ; Bull.  Civ 1998. Vème  partie n°578 p. 430.

[40] cf. C. Cass. crim. 22 septembre 1998, M. ; Pourvoi n°V 98-83.555 c/ CA Paris 17 mars 1997  Rejet  JCP 1999 éd. G. IV, 1153 ; ; Bull. crim. 1998 n°231 p. 662. Les art. 248 à 253 C.P.P. sont relatifs aux règles de désignation des magistrats appelés à siéger lors d’une session de la cour d’assises en respectant le principe d’impartialité du tribunal..

[41]cf. CEDH 23 juin 1981 Le Compte, Van Leuven et de Meyere c/ Belgique, série A n°43, § 55 à propos de la justice ordinale.

[42] cf. CEDH, 20 mai 1998, aff. Gautrin c./ France requête n°38/1997/822/1025/1028 ; Dr. adm. 1998omm. n°249.

[43] cf. CEDH 22 avril 1994, Saraiva de Carvalho c./ Portugal  (Série A n°286-B p. 38 § 33).

[44] cf. CEDH, 23 avr. 1996 Remli, c/ France § 46, requête n°4/1995/510/593,  Gaz.. Pal. 1997.2, jurisprudence p.459 et cf. arrêt Holm c. Suède du 25 novembre 1993, série A n°279-A, p. 14, § 30.

[45] cf.  Cass. crim. 6 mai 1996 ; Bull. crim n°187 p. 541 rejet.

[46] cf. Cass. crim/ 6 janvier 1998    X. et autres  - pourvoi n°97-81.466 ;Bull. crim. n°1 p. 1 ; D. 1999, jurisprudence p. 246, note Gulsen YILDIRIM.

[47] cf. C. Cass. crim. 4 mars 1998 ; X : Juris-Data n°001684 ; Bull. crim n°86 ; D. 1998 I.R. p. 125 ; JCP 1998, G. IV, 2922 et Gaz. Pal. 1998.2  chron. de droit crim. pp. 120-121, 2 août 1998 ; Dr. pénal 1998, Comm. 150, obs. Maron.

[48] cf. Cass.  chambre sociale 18 novembre 1998 – pourvoi n°94-43.840   SA Alpibois-François Favrat c/ Piovesan -  Cassation de CA  Chambéry, 21 juin 1994 (ch. soc.).  cf. D. 1999, IR p. 13.

[49] cf. C. Cass. soc. 8 janvier 1997 Dalnont c. Mme Sulpice., Pourvoi n°94-42.241 ; . D. 1997 I.R. p. 37; JCP 1997 IV, 1409, arrêt commenté dans notre chronique 1997.

[50] Mais si les règles de composition du tribunal sont respectées, les magistrats sont tenus pendant l’audience de s’abstenir de toute opinion préconçue sur les faits. L’art. 311 C.P.P. autorise les assesseurs du président de la cour d’assises et les jurés  à poser des questions aux accusés en demandant la parole au président. Mais ils ont le devoir de ne pas manifester leur opinion. Est prohibée une opinion préconçue sur les faits du point de vue de la culpabilité de l’accusé ; cf. C. Cass. crim 28 janvier 1998 Khéroud, (Juris-Data n°001459) ; Droit pénal 1999, Comm. n°57, Maron.

[51] Voir la note de Claude Bonichot et de Ronny Abraham relative à l’arrêt CE 29.07.1998, Mme Esclatine ; JCP 1998, éd. G.I 176.

[52] Cour EDH arrêt Rheinhard et Slimane Kaïd c/ France du 31 mars 1998, D. 1998, Somm. p. 366, obs. Baudoux.

[53] cf. CE 29.07.1998 Mme Esclatine  req. n° 179635  D. 1998, I.R. p. 239 ;  concl. Didier Chavaux dans l’aff. Mme Esclatine CE 29 juillet 1998 ; D. 1999, jurisprudence p. 85.

[54] Vr. la jurisprudence de la Cour EDH relative à la communication des conclusions de l’avocat général devant la Cour de cassation CEDH, 25 juin 1997, D. 1997, Somm. p. 359, obs. Fricero et, sur la communication du rapport conseiller rapporteur, CEDH, 31 mars 1998, D. 1998, Somm. p. 366, obs Baudoux ; V. aussi la jurisprudence de la Cour de Cassation sur la communication des réquisitions de l’avocat général, C. Cass. crim., nov. 1997, D. 1998, Somm. p. 176, obs. Pradel.

[55] Les arrêts les plus importants de la CEDH relatifs à l’impartialité subjective et objective concrète ou abstraite sont systématisés par P. Sargos dans son rapport concernant deux arrêts rendus par l’Ass. plén. de la Cour de cassation le 6 novembre 1998 ; JCP 1998 éd. G. II 10198 et par F. Burgelin dans ses conclusions relatives aux mêmes espèces ; Dalloz 1999, Jur. p. 1. Un arrêt de la chambre commerciale de la cour d’appel de Grenoble du 11 septembre 1997 « Hapian c/ Hidoux ès qualités » intègre cette jurisprudence européenne dans un arrêt jugeant que la participation d’un juge-commissaire au jugement du tribunal de commerce prononçant la liquidation judiciaire d’une société viole le principe d’impartialité en confondant les fonctions d’instruction et de jugement ; D. 1998, Jur. p. 128, note Renucci.

[56] Dans l’affaire Persack C./ Belgique 1er octobre 1982 (Série A n°53), un premier substitut est chargé des poursuites relatives aux crimes et délits contre les personnes.  Il a compétence pour instruire un crime dont est accusé Piersack. Ce substitut est ensuite nommé président de la cour d’assises appelée à juger Piersack. La Cour EDH estime qu’il faut tenir compte des considérations de caractère organique. Si un juge est amené à traiter en tant que membre du parquet une affaire puis se retrouve en tant magistrat du siège chargé de la même affaire, il est à craindre que les justiciables sont en droit de craindre qu’il n’offre pas assez de garanties d’impartialité ». La CEDH considère qu’il n’y a pas lieu de mesurer le rôle joué par ce substitut en tant que président de la cour d’assises et mesure l’exigence d’impartialité objectivement.

[57] cf. dans le même sens aff. De Cubber c. Belgique CEDH 26 oct. 1984 et 14 septembre 1987 (chambre) (Série A n°86 et 124-B) avec un exercice des fonctions d’instruction et de juge de première instance par un même magistrat dans une affaire correctionnelle.

[58] cf. CEDH 16 déc. 1992 aff. Sainte Marie C./ France (§ 31, 33 et 34), (Série A n°253).

[59] cf. C. Cass. 2e civ 14 oct 1987, Bull. civ. IIème partie n°194.

[60] cf. C. Cass. crim 26 avr. 1990, Bull. crim. n°162 ; C. Cass. crim. 10 janv. 1996, Bull. crim. n°9.

[61] cf. Cass Crim 21 février 1996 Bull. Crim. n°82 p. 234 (1) pourvoi n°95-82.085, cf. notre chronique 1996.

[62] cf. C. Cass. 6.11.1998 Sté Bord Na Mona c. SA Norsk Hydro Azote e.a. ; Gaz. Pal 1998.2 jurisprudence p. 685 note Jérome Pansier ; JCP 1998 éd. G II, 10198.

[63] La Cour de cassation cherche encore ses marques en matière d’impartialité. L’assemblée plénière de la Cour de cassation rendit un arrêt très discutable en jugeant, le 6 novembre 1998 dans l’affaire Guillotel c./ Sté Castel et Fromaget , que la circonstance qu’un magistrat statue sur le fond d’une affaire en tant que magistrat siégeant en appel comme membre de la cour d’appel lorsqu’il a, dans le litige, pris préalablement une mesure conservatoire en tant que juge des référés, n’implique pas une atteinte à l’exigence d’impartialité appréciée objectivement. Cette sévérité de la Cour se fonde sur le fait que le requérant n’avait pas contesté la composition de la cour d’appel, ni demandé la récusation du magistrat concerné et qu’il soulève seulement ces moyens pour la première fois devant la cour de cassation. Ce rejet est conforme aux règles des pourvois en cassation. Mais une violation aussi grossière de l’impartialité laisse rêveur. [arrêt n°431 P], JCP 1998 éd. G. II, 10198 (2e arrêt).

[64] cf. C. Cass. 1re civ. 31 mars 1998 époux Laurent c/ Proc. gén.  près CA Rennes : Juris-Data n°001468    JCP 1998 IV, 2194 ; Gaz.. Pal. 1998.2. Pan. C. Cass. p.164 ; D. 1998 I.R. p. 115 ; JCP 1999 II, 10102, note Joëlle PRALUS-DUPUY.

[65] Les art. 341 NCPC et s. visent les condition légales de récusation d’un juge. Ses conditions sont nombreuses et, seules, les plus importantes sont ici présentées : si le juge ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation ou s’ils sont créancier, débiteur, héritier ou donataire de l’un des parties, s’ils sont parents ou alliés jusqu’à 4ème degré, s’ils ont eu ou s’il y a  procès avec l’une des parties ; si le juge a précédemment connu l’affaire comme juge, arbitre ou conseil d’une des parties ; s’il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint  et l’une des parties ou son conjoint s’il y a amitié ou inimité notoire entre le juge et l’une des parties. En vertu de l’art. 356, la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime est assujettie aux mêmes conditions de recevabilité et de forme que la demande de récusation. Dans cet arrêt, deux avocats demandaient la récusation et le renvoi pour suspicion légitime d’avocats, membres de la juridiction disciplinaire, coupables à leurs yeux d’inimitié, parce qu’ils auraient assisté sans protester à une soirée avec présentation de diverses saynètes à prétention humoristique dans lesquelles ils s’étaient sentis raillés.

[66] cf. C. Cass. 1re civile  28 avril 1988 Miguel G… c. Michel Capponi  e.a. (pourvoi n°H 96-11.637) (X…c./ Y.. et  …autres) Cassation de 

C-A Aix-en-Provence 11 déc. 1995 (1re ch. A)    Dalloz 1998 I.R. p. 131 ; Bull. civ. 1 n°155 p. 102..

[67] cf. notre chronique 1996.

[68] cf. C. Cass. 1re civile  28 avril 1988 Miguel G… c. Michel Capponi  e.a. (pourvoi n°H 96-11.637) (X…c./ Y.. et  …autres) Cassation de 

C-A Aix-en-Provence 11 déc. 1995 (1re ch. A)    Dalloz 1998 I.R. p. 131 ; Bull. civ. 1 n°155 p. 102. ; cf. Gaz. Pal 1998.2. jurisprudence p. 869.

[69] cf. Cass. 1re civ., 4 février 1997, Lubino et a. c./ Proc. Gén. Près CA Basse-Terre : e – (Juris-Data n°000416) cf. notre chronique 1997.

[70] cf. Cass. 1re civ ., 3 février 1998 ; T. c. Procureur Rép. près TGI Bordeaux et a. : pourvoi n° Q 96-12.035  Juris-Data n°000426 ; JCP 1998, IV, 1676.

[71] cf. C. Cass. 1re civ., 4 février 1997, Lubino et a. c./ Proc. Gén. Près CA Basse-Terre : e – (Juris-Data n°000416) ; Bull. C. cass. 1997 civ.1. n°43 p. 28 ; cf. notre chronique 1997.

[72] Cf. CE 8 juillet 1998, Département de l’Isère, comm. AJDA 1998, doctrine p.707.

[73] L’article 564 NCPC dispose que  « les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ». L’art. 565 NCPC admet la recevabilité de prétentions qui ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.  En outre, l’art. 566 autorise les parties à « expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toues les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément ».

[74] cf. D. 1999, IR p. 31 ;  cf. JCP 1999 éd. G. II, 10057, note Eric Garaud.

[75] Rappr . Cass. Comm, 9 avril 1996, D. 1998, Somm. p. 65 obs. I. Bon-Garcin ; CA Paris 17 mai 1997, D. 1998 Somm. p. 65 obs I. Bon-Garcin et 77.

[76] cf. C. Cass. crim. 13 mai  1998 requête n°98-81.079 ; Bull. crim 1998 n°161 p. 4349.Cet arrêt est à rapprocher de Crim. 15 oct 1996 ; Bull. crim. 1996 n°362 p. 1064 (cassation).

[77] cf. Cass. crim 26 mars 1998 Joseph Classen  requête n°97-81.214     Bull. crim. 1998 n°115 p. 304.

[78] cf. CE 12 juin 1998 Kernou – N – (requête n°170667) ; Gaz. Pal. 1998.2, jurisprudence p. 694.

[79] cf.  C.E. 2 février 1998 CHERCHOUR ; requête n°188208, Piveteau, c.d.g. ; Dalloz 1998, jurisprudence p. 343 et s., note Didier ARTUS.

[80] cf. notre chronique 1996 , C.E. 29 mars 1996 Préfet de la Marne  requête n°155673, Rec. C.E. p. 106.

[81] cf. C.E. 29 mars 1996 Préfet de la Marne  requête n°155673, Rec. C.E. p. 106.

[82] cf. C.E. 1er décembre 1997 Kechemir, requête n°184053 ;  c.d.g. M. Bonichot ; Rec. CE p. 457.

[83] cf. CE 18.02.1998 Préfet du Rhône c. Ruben M’Bock-Peytavin, l’adopté étranger étant âgé de 32 ans ; Gaz. Pal. 1999.2 Jur. p. 545.

[84] cf. CE 20 mai 1998 Mlle Oufkir-Gonthier et Gonthier cf. JCP 1998 éd. G.  II, 10182, note Françoise Monéger.

[85]  cf. CE 8 juin 1998 Chea   req. n°183053  cf. JCP 1998 éd. G.  II, 10182, note Françoise Monéger.

[86] cf. CE 29 juillet 1998 NAFOUTI  req. n°171360 (rejet  TA Lyon 16 mai 1995 ) Gaz. Pal. 1999 I. Pan. droit administratif  p. 47.

[87] A contrario, le CE dans son arrêt Lahrache du 8 avril 1998 a statué sur la légalité de l’arrêté  d’expulsion pris à l’encontre d’un ressortissant marocain, condamné à cinq ans d’emprisonnement dont trois avec sursis à la suite d’un vol avec port d’armes. Malgré la gravité des faits, le CE a estimé qu’en l’absence d’attaches familiales au Maroc puisque sa famille proche réside en France où il vit depuis l’âge de trois ans, l’expulsion viole l’article 8 CEDH, la mesure d’expulsion étant disproportionnée à l’atteinte au droit de mener une vie familiale normale cf. CE 8.04.1998 LAHRACHE requête n°171548.

[88] Cf. CE 2e et 6e sous-sections 29 juillet 1998 Dame BEEKHORRY (ref. 6529) requête n°186359 ; Gaz. Pal. 1999 I, Panorama de droit administratif p.46.

[89] cf. CE (2e et 6e sous-sect.) 29 juillet août 1998, Ministre de l’intérieur c./ Chiabani  - requête n°16622 ; Gaz. Pal. 1999.1, jurisprudence p. 76 ; Gaz. Pal. 1999.1. Panorama de droit administratif p. 47.

[90] cf. CEDH 8 décembre 1998  Benrachid c/ France ; requête n°39518/98.

[91] cf. art. 9 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961.

[92] Cf. CE 16 nov. 1998 4e et 1re sous-sect., requêtes nos 161188 et 161189 LOMBO ; JCP 1999 éd. G. IV, 1748 ; JCP 1999 éd. G. II 10124 note Gilles Toulemonde.

[93] cf. Rev. Sc. Crim. 1998.829, obs. Petiti ; JCP 1999 I 105, chron. Sudre.

[94] cf. Cass. crim 5 février 1998 (rejet Basse-Terre 29 avril 1997) MONGORIN – pourvoi n°97-82.890 PF/914 cf. Gaz. Pal. 17 juill. 1998 chr. Dr. crim J-P Doucet p. 91.  Bull. C. Cass. crim. n°49 p. 134. (2).

[95] en application de l’article L. 122-1 du Code de la Consommation.

[96] cf. note de Frédéric Freund, sous l’arrêt JCP 1999 II, 10163.

[97] cf. C.E. 12 juin 1998 1re / 4e sous-sections réunies.  Association des groupements de pharmaciens d’officine et autres – requête n°181718 ; Rec. C.E. p. 227.

[98] cf. CE 12 juin 1998 Société toulousaine de télévision, req . n°170173,.

Rapprocher de CEDH, 24 février 1994, Casado Coca c/ Espagne.

[99] cf. arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni n°1 rendu par la Cour EDH le  26 avril 1979, Série A n°30.

[100] cf.  Cass. crim. 28 octobre 1998, Mohammed Ben Aïcha ; Bull crim. n°280 p. 906.   Rejet.

[101] cf. CEDH 24 fév. 1994 Casado Coca c/ Espagne ; Gaz. Pal. 14 nov. 1995 p. 579, note Petiti.

[102] cf. Conseil de l’Ordre des avocats délibération du 5 janvier 1999 relative à la publicité des avocats ; Sté Thieffry & Associés ; JCP éd. G. 1999 II 10080, note Raymond Martin.

[103] cf. C. Cass. crim 20 octobre 1998 Thérond; pourvoi n°97-84.621 ; cf. D. 1998 IR, 265 ; JCP 1999 éd. G.  II, 10044 ; note Grégoire Loiseau ; Bull. crim. 1998 n°264..

[104] cf. C. Cassation 1re chambre civile du 16 juillet 1997 SA Plon c. Consorts Mitterrand ; JCP 1997 éd. G. II, 22964 [arrêt n°1402 P], procédure des référés ; note d’Emmanuel Derieux..

[105] L’art. 2 de la convention n°87 de l’OIT du 9 juillet 1948, publié au J.O. du 9 août 1951, dispose : « les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisation, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières ».

[106] cf. C. Cass. ch. mixte 10 avril  Syndicat Le Front national de la Police c/  Syndicat de policiers en tenue (SNPT) n° C 97-17.870 c/ CA Paris 17 juin 1997) ; JCP 1998 éd. G., IV, 2251.

[107] L’art. L. 481-1 c. du travail dispose que les directeurs ou les administrateurs de syndicats ou d’unions de syndicats qui auront commis des infractions aux dispositions de l’articles L. 411-1 seront punis d’une amende de 25000 Francs. La dissolution du syndicat ou de l’union de syndicats pourra en outre être prononcée à la diligence du procureur de la République. En cas de fausse déclaration relative aux statuts et aux noms et qualités des directeurs ou administrateurs, l’amende sera de 25000 Francs.

[108] L’art. 411-2 c. du travail dispose que les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes, concourant à l’établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement. Par dérogation aux dispositions de l’alinéa précédent, les personnes employant sans but lucratif des salariés peuvent se grouper en syndicat pour la défense des intérêts qu’elles ont en commun en tant qu’employeur de ces salariés.

[109]  cf.  C. Cass ch mixte 10 avril 1998 L’Etat français c/Front national pénitentiaire (FNP) et a.  (pourvois n° Z 97-16.970 à G. 97- 17.323 c/ CA Montpellier, 9 juillet 1997) ; : Juris-Data n°001728 et JCP 1998 IV, 2250 ; Gaz. Pal 1998.1. jurisprudence p. 159 ; D. 1998, jurisprudence p. 389, note  A. Jammaud.

[110] cf. J-M Verdier, Syndicats et droit syndical, t. 5 du droit du travail, dir G-H Camerlynck, Dalloz, 2ème édition, 1987, nos 164-165.

[111] L’article L. 160-5  du code de l’urbanisme relatif aux servitudes d’urbanisme rejette tout droit à indemnisation lorsque ces mesures visent « l’utilisation du sol, l’interdiction de construire dans certaines zones ou en bordures de certaines voies.. ». Toutefois, une indemnité est due s’il résulte des servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l’état antérieur des lieux déterminant un dommage matériel, direct et certain».

[112] cf. C.E. Section  3 juillet 1998  Aff. : M. Bitouzet  req. n°158592,  concl. Abraham  Rec. CE p. 288.

[113] La Cour estime aussi, dans l’arrêt Sporrong, que la marge d’appréciation de laissés aux États pour mener leur politique urbanistique doit se faire dans le respect du principe de légalité en veillant à ce que la mesure soit conforme à l’intérêt général, respecte les exigences du principe proportionnalité entre les restrictions au droit de propriété eu égard au but poursuivi  en recherchant « si un juste équilibre a été maintenu entre l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu »  cf. aff. Sporrong, § 86, (Série A n°52) cf. F. Raynaud et Pascale Fombeur, chronique de jurisprudence administrative française ; AJDA 1998 p. 570 ; cf. Berger, jurisprudence de la Cour EDH n° 1211 et s.

[114] cf. Cass. 1re civ., 24 février 1998 ; Consorts Vialaron c/ Guillermin : Juris-Data n°000825.  (pourvoi n°E 95-18.646 et F.95-18647 c/ CA Chambéry, 14 et 15 mars 1995). ; JCP 1998 éd. G. IV, 1831 Gaz. Pal. 1998 II Pan. C. Cass. p. 180, arrêt publié au JCP 1998, éd. G., II, 10175 avec une note de  Thierry Vignal.

p[115] Cf. C. Cass. 1re civ. 1er juin 1994, Mme X…c/Y. ; D. 1995,jurisprudence p. 263. Le premier arrêt reprenant une solution analogue avait été adopté par la 1re ch. civ. dans l’affaire Akla, le 6 juin 1990 ; Bull. civ. I, n°138.

[116] Cf. C. Cass.1re civ. 19 décembre 1995 Mustapha Fazouane pourvoi n°93-19.950,   Bull. Civ. 1995 1re Civ. n°469 p. 326.